Clément Janière (ECL2017) - Transformer notre modèle alimentaire tout en soutenant une agriculture vertueuse
Comment transformer notre modèle alimentaire tout en soutenant une agriculture vertueuse? Une patate chaude dans les mains des industriels, distributeurs et producteurs, qui cherchent encore la recette idéale entre respect des transformations qui leur sont demandées et les réalités court termes de leurs activités. Clément Janière (ECL2017), consultant Energie Climat dans le secteur Agri/Agro, connaît bien les ingrédients de cette transition à mener. Il nous parle aujourd’hui de ses missions, de ses engagements, mais aussi des freins qu’il rencontre chez ses clients et des leviers à actionner pour accélérer selon lui la transition vers une agriculture plus durable et résiliente.
Technica : Bonjour Clément. Tu travailles depuis 3 ans comme consultant dans le secteur agro/agri. Comment est né cet intérêt pour les problématiques liées à l’alimentation ?
Au cours de mes études, je me suis intéressé à l’alimentation via la création de plusieurs potagers dans mes différents lieux de vie. Puis avec le début de ma vie professionnelle, j’ai souhaité mieux comprendre notre système alimentaire et agricole. C’est en arrivant chez EcoAct, après plusieurs années d’investissements militants et bénévoles dans diverses associations (Fresque du Climat, scoutisme, Youth for climate) que j’ai trouvé un but à mon engagement : participer à transformer notre modèle alimentaire tout en permettant de soutenir une agriculture vertueuse. Je suis convaincu que l’agriculture est un secteur pilier de notre société, un secteur aujourd’hui en souffrance alors que nous disposons de solutions pour résoudre les différents problèmes qu’il rencontre (impact environnemental, conditions des agriculteurs, alimentation ultra-transformée, chaîne alimentaire complexe, etc.). L’enjeu est de réussir à engager du changement dans les différentes organisations afin de faciliter la mise en place les leviers aujourd’hui identifiés.
Technica : Peux-tu nous présenter dans les grandes lignes les actions menées par la société de conseil EcoAct ?
EcoAct est un cabinet de conseil en stratégie climat créé en 2006. Il a 2 pans principaux d’actions : l’activité de conseil climat et le développement de projets (reforestation, lutte contre la déforestation, agroforesterie, foyers de cuisson améliorée, etc.). Je travaille dans la branche conseil composée d’une petite centaine de consultants qui accompagnent des entreprises de tous les secteurs industriels et tertiaires, dont le secteur agro-agri, sur lequel nous sommes une dizaine à travailler. Nos missions principales concernent les questions d’empreinte carbone, la définition de plans action de réduction d’émissions, l’analyse de risques climatiques, les actions de sensibilisation, les problématiques d’empreintes et de risques pour la biodiversité, mais aussi l’accompagnement vers l’engagement climat des fournisseurs.
Technica : Quels sont les profils des clients que tu accompagnes et quelles sont les problématiques qui reviennent le plus souvent ?
Nous accompagnons des acteurs de toute la chaîne depuis les coopératives agricoles jusqu’ aux distributeurs, en passant par les industriels. Le point de départ d’une mission type de stratégie climat est un diagnostic (bilan carbone), la suite consiste à les aider à se définir un objectif de réduction basé sur la science (SBT, i.e., science-based-target) puis à construire un plan action à horizon court-terme (2030) et long-terme (2050) afin d’atteindre leurs objectifs climat. Cette construction de plan action passe généralement par l’animation d’ateliers auprès des différents corps de métiers (achats, logistiques, marketing, R&D, etc.) afin de récolter les idées d’action mais aussi stimuler une dynamique de changement au sein de l’entreprise. Toutes ces actions sont ensuite quantifiées d’un point de vue carbone (et éventuellement financier) pour vérifier l’atteinte au non des objectifs.
Technica : Quelles sont les difficultés que tu rencontres le plus souvent et de quelles solutions disposes-tu pour les surmonter ?
Une difficulté que nous rencontrons très régulièrement réside dans le manque d’écoute des recommandations des équipes RSE par leur direction. Les enjeux business court-terme amènent trop souvent à faire des choix contradictoires par rapport à des actions définies lors de la stratégie climat. Face à l’urgence climatique, il faudrait un renforcement de la législation pour forcer les entreprises à prendre les bonnes directions. Le déploiement à venir de la CSRD (i.e., Corporate sustainability reporting directive) est un exemple de réglementation (européenne) ambitieuse qui obligera les entreprises à aller plus loin dans leur stratégie climat, notamment via des analyses de risques climat, arguments forts pour mettre en avant la nécessité de faire évoluer leur business model et leur permettre de devenir à la fois plus résilient et moins impactant.
Technica : Peux-tu nous décrire une mission qui t’aurait particulièrement marqué ?
J’ai en tête une mission complète de stratégie climat auprès d’un industriel agroalimentaire français qui travaille sur toutes les filières agricoles (animales et végétales). Elle fut particulièrement enrichissante pour comprendre la complexité du secteur et les principaux freins à l’action que nous retrouvons régulièrement telle que la chaîne du rejet de la responsabilité : les industriels rejettent la responsabilité sur le distributeur qui lui-même rejette la responsabilité sur les consommateurs. L’industriel nous explique ainsi qu’il n’a pas la main sur ce qu’il vend car il répond à la demande du distributeur et ce dernier nous dit la même chose sur le consommateur.
C’est une situation assez déroutante à laquelle il faut trouver des arguments pour ne pas faire perdurer l’inaction. Cela passe notamment pour les industriels et les distributeurs, par respecter leur devoir d’information (origine, impact, niveau de transformation) auprès des consommateurs pour les aider à faire leurs choix en pleine conscience.
Technica : Les manifestations des agriculteurs en France et ailleurs en Europe soulignent les difficultés chez les acteurs du secteur à changer leurs process et habitudes et à entamer ainsi les transformations nécessaires. Pourquoi selon toi est-il si difficile de trouver un consensus pour adapter l'agriculture aux enjeux climatiques/énergétiques de demain ?
Selon moi la crise que traverse le monde agricole illustre le besoin de coopération entre les acteurs des systèmes alimentaires. Les agriculteurs ne peuvent porter seuls la responsabilité de la transition. Il est urgent de redonner une juste rémunération aux agriculteurs et de réagir face à la chute du nombre d’agriculteurs (-50% sur les 10 prochaines années) avant de les accompagner dans leur résilience face au changement climatique.
Technica : L’article 1er du projet de loi d’orientation agricole adopté il y a quelques semaines affichent de nets reculs concernant les ambitions/obligations de la France en termes d'environnement. Quelles seraient les mesures de bon sens selon toi pour tendre vers une agriculture plus durable et résiliente ?
A la croisée du tissu agricole et des attentes des consommateurs, les industriels agroalimentaires jouent un rôle décisif lorsque l'on considère qu'en France, l’industrie transforme 70 % de la production agricole. Selon moi il existe 4 axes concrets pour rendre les systèmes alimentaires compatibles avec un modèle soutenable :
-Élargir l'action des entreprises agroalimentaires, en passant d'une vision centrée sur le climat, à une vision qui intégrerait les limites planétaires et la santé humaine, dans leur mesure d'impacts et leur prise de décision,
- Accélérer le déploiement de pratiques agricoles assurant la protection et la restauration des écosystèmes et de la biodiversité
- Faire évoluer les régimes et l'offre alimentaires face à ces enjeux climatiques, environnementaux et nutritionnels (développer la part du végétal, réduire le gaspillage, supprimer l’alimentation ultra-transformer)
- Encourager la territorialisation des systèmes alimentaires en favorisant les synergies locales et globales.
Au-delà de ces leviers, cette transition nécessaire requiert une action collective coordonnée et collaborative impliquant tous les acteurs des filières et où la puissance publique permet une meilleure convergence des politiques agricoles, alimentaires, climatiques, environnementales et de santé. C'est en tous cas le signal envoyé par la nouvelle Stratégie pour l'Alimentation, la Nutrition et le Climat (SNANC) qui détermine les orientations pour une politique de l'alimentation durable moins émettrice et respectueuse de la santé.
Technica : Pour conclure, peux-tu nous donner des raisons d’être optimistes sur la capacité d’adaptation de secteur agro/agri en France/Europe ? Des signes/exemples de choses qui fonctionnent ou qui vont dans le bon sens ?
Il existe un certain d’initiatives à différentes échelles qui donnent de l’espoir :
- Des marques qui visent une meilleure rémunération des producteurs (c’est qui le patron, transition, Merci !, etc.)
- Les épiceries « Nous anti-gaspi » qui luttent dans toute la France contre le gaspillage alimentaire de la chaîne industriel-distributeur.
- Les PAT (projets alimentaires territoriaux) qui ont pour objectif de relocaliser l'agriculture et l'alimentation dans les territoires en soutenant l'installation d'agriculteurs, les circuits courts ainsi que les produits locaux dans les cantines. Il en existe plus de 400 à l’heure actuelle.
Ce sont toutes ces démarches ainsi que la bonne volonté de nos interlocuteurs chez nos clients qui nous donnent l’énergie pour agir pour cette transition.
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