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04 mai 2021

Industrie maritime : Métiers, challenges et diversité - L'expertise de Jean Pepin-Lehalleur (ECL1969)

Jean Pepin-Lehalleur (ECL 1969) a travaillé toute sa carrière sur les problématiques d'ingénierie liées aux développements offshore (plates-formes fixes, flottantes, FPSO, systèmes sous-marins) au sein de la société française DORIS. Membre de l’Académie de Marine (Président de la section Sciences et Techniques) depuis 2007, il intervient également comme consultant pour les EMR auprès de l’ADEME. Une expertise qu'il a accepté de partager avec nous au travers d'une présentation détaillée des métiers et challenges qu'offre l'industrie de la mer, aux ingénieurs.


« Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et les marins », aurait dit Aristote. Cette petite phrase fait penser que le monde marin est étrange. Et pourtant, la mer a toujours été un monde de communication entre les hommes restés à terre, avec des moyens en perpétuelle évolution : aujourd’hui , 90% des importations de la France passe par la mer.

La France possède la deuxième ZEE (Zone d’Exclusivité Economique) au monde du fait de ses territoires outre-mer mais n’a pas réputation d’une nation maritime. Pourtant, le France se distingue dans de nombreux sujets qui vont être exposés dans ce document. Nous voyons actuellement un renouveau pour les activités maritimes de toutes sortes, aussi bien au niveau politique (nous avons à nouveau un Ministre de la mer), qu'auprès du grand public, ou le développement d’entreprises spécialisées.

Dans ce monde maritime, il ne faut pas oublier ceux qui naviguent, ceux qui exploitent, les ports, la pêche, la logistique, les assurances... Toutefois, notre document sera concentré sur les métiers d’ingénieurs. Le monde de la mer est en effet de plus en plus technologique, aussi bien dans la conception que l’exploitation. Et cette tendance s’accélère. De plus, les considérations environnementales croissantes ont bousculé tout le domaine maritime.

ARCHITECTURE NAVALE et « SMART SHIPS »

L’architecture navale couvre de fait de nombreux domaines : l’hydrodynamique, les matériaux, les ancrages, et se complique sérieusement pour les nouveaux concepts de navires avec des hydrofoils ou navires hybrides avec propulsion auxiliaire à voiles. Pour la conception, la révolution numérique bat son plein dans le domaine maritime.

Les ingénieurs français ont la réputation d’être particulièrement brillants quand les problèmes sont complexes et innovants. Le secteur maritime offre ainsi de nombreux défis technologiques à relever, qu'il s'agisse des navires (paquebots, ferries, cargos spécialisés, navires fluviaux, dragues, câbliers), des structures flottantes pour l’offshore, du levage en mer et pour la marine militaire (bâtiments de surface, sous-marins, drones), des navires de plaisance pour le grand public et pour la compétition, dont les trimarans à hydrofoils avec des matériaux synthétiques toujours plus performants...  Le skipper devient un ingénieur !

Les structures fixes en mer présentent également de nouveaux défis qui n’ont été résolus que récemment : les structures fixes pour l’offshore pétrolier apparues il y a 70 ans ont demandé beaucoup d’effort de conception, de construction et d’installation avec le développement de logiciels et d’essais en bassins multiples pour de nombreux concepts (jackets, TLP, semi-sub, FPSO, FLNG, etc.). Cette partie de l’architecture navale profite actuellement du nouveau bond des Energies Marines Renouvelables initié il y a seulement 20 ans.

Les principaux sujets d’innovation auxquels nous assistons sont les bateaux « intelligents », l’énergie et la propulsion, la construction, les ressources marines. Les bateaux « intelligents » (« Smart Ship ») sont en plein développement grâce aux progrès fantastiques du numérique et des communications. Des bateaux « sans équipage » naviguent déjà : à ce jour, ce sont des « ferries » ou des drones militaires de surface ou des sous-marins, ce qui suppose des systèmes informatiques embarqués très puissants et des systèmes de navigation autonomes.

LA PROPULSION  POUR  LES « GREEN SHIPS »

Concernant l’énergie et la propulsion, un effort sans précédent est en cours dans le cadre des préoccupations pour l’environnement (« approche « Green Ship »). Les moteurs diesel avec les carburants actuels sont accusés de polluer l’atmosphère par les fumées et le soufre. Les teneurs maximales sont déjà très réduites pour les eaux européennes et américaines mais il faut faire mieux avec des nouveaux carburants : le GNL, L’hydrogène, le méthanol, l’ammoniac…

De très gros porte-conteneurs de 23000EVP, de 400m de long par 61 m de large, propulsés par des moteurs à gaz stocké en GNL à -163 deg C. viennent d’être lancés. De même pour les derniers projets de grands paquebots et ferries, ainsi que des commandes de grands pétroliers VLCC ! Mais on va encore plus loin avec des projets de cargos à propulsion hybride : GNL + voile ou cerf-volant à déploiement télécommandé, permettant 20 % d’économie d’énergie.

L’hydrogène est déjà  utilisé pour des ferries de taille moyenne, bien que le coût soit encore très élevé. Plusieurs cargos sont propulsés au méthanol et certains grands constructeurs de moteurs marins testent l’ammoniac comme carburant.

LES CHANTIERS « INTELLIGENTS » (« Smart yards »)

La construction navale a été longtemps une spécialité de l’Europe jusqu’à ce que le coût de la main d’œuvre la déplace vers les pays à bas coût. Néanmoins, les bateaux à haute valeur ajoutée sont construits en Europe (les grands paquebots comme à Saint-Nazaire, les navires militaires, les sous-marins, les câbliers, etc.)

Le mode de construction bénéficie de la révolution numérique : les navires sont désormais conçus en CAO et construits en modules entièrement pré-équipés comme les modules offshores. Cette approche permet ensuite une maintenance plus aisée. Les matériaux sont aussi en pleine évolution dans un environnement où les contraintes sont importantes et le problème de la corrosion permanent. L’aluminium est employé de plus en plus pour les navires légers et rapides comme les patrouilleurs militaires ; les trimarans de course au large utilisent des matériaux synthétiques dernier cri pour leurs coques, leurs hydrofoils, leurs mats et voiles.

LES RESSOURCES MARINES

Les ressources les plus importantes à ce jour sont le pétrole et le gaz offshore. Bien que la demande en hydrocarbures stagne ces derniers temps, les projets offshore ne manquent pas. Surtout dans le gaz qui peut être transporté une fois liquéfié (GNL) sur de très longues distances grâce aux méthaniers. Le gaz profite également du développement de systèmes flottants comme les FLNG et FSRU et des barges pour l’Arctique : toute une panoplie de réalisations qui font appel à l’expertise maritime. Tous les grands ports s’équipent de navire-souteurs de GNL permettant de ravitailler directement à couple  les nouveaux grands navires utilisant ce carburant.

Mais le grand sujet actuel est le développement des Energies Marines Renouvelables : les éoliennes fixes et flottantes sont en plein développement et plusieurs prototypes d’hydroliennes et de houlomoteurs sont à l’essai. Toutes technologies se développent très vite : les projets d’éoliennes offshore étaient basés sur des machines de 2 MW il y a 15 ans, de 5 à 6 MW il y a 5 ans ; à ce jour, on est passé à des machines de 10 à 12 W (le prototype est en essai) avec des rotors de 230m. Les éoliennes flottantes permettront d’avoir de grandes machines, loin des côtes, hors des zones de pêche côtière à des coûts acceptables. C’est l’avenir proche. En France, quatre fermes–pilotes (3 en Méditerranée, une en Atlantique), basées sur des machines de 6 à 8 MW sont lancées.

Des projets similaires sont en cours dans les grands pays étrangers. (UK, USA, Japon, Chine…). De telles dimensions et puissance peuvent être envisagées car les techniques d’installation (levage, remorquage, pose d’ancrages et de câbles, etc.) sont similaires à celles de l’offshore pétrolier lorsqu’à terre, les dimensions et poids sont limités par des problèmes de transport terrestre et de  levage in-situ, ce qui fait que le éoliennes terrestres sont pratiquement limitées à 2 à 3 MW.

Comme on peut le voir, l’exploitation du monde de la mer est très technique et presque toutes les disciplines étudiées par les ingénieurs sont requises ; elles sont souvent combinées : une belle opportunité pour les ingénieurs des grandes écoles dont la formation multidisciplinaire est reconnue mondialement. 

 

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