Un Centralien, un métier : JB Loiselet Offshore Manager
JB Loiselet n'est pas du genre à travailler derrière un bureau. Ce qu'il préfère, ce sont les grands espaces, l'aventure aux quatre coins du monde, là où l'attend l'inattendu. Un choix de vie qui a également dicté sa carrière professionnelle, débutée dans les Terres australes pour ensuite sillonner les océans et travailler sur des plateformes pétrolières. Parcours d'un ancien de Centrale Lyon qui a plus d'un tour du monde dans sa poche.
En sortant de l’École Centrale, je souhaitais partir à l’étranger si possible dans un endroit qui sorte de l’ordinaire pour vivre une première expérience professionnelle qui le serait tout autant. Je suis tombé sur l’IPEV - l’Institut Polaire français Paul Emile Victor (un autre Centralien) qui recherchait alors un « gener » aux Îles Kerguelen.
Problème, je n’avais aucune idée de ce qu’était un « Gener », mot du jargon de l’IPEV, mais lors de mon entretien d’embauche, mon profil a semblé coller aux attentes de mon futur responsable.
Après avoir discuté des Kerguelen avec deux ou trois ex-hivernants, qui m’ont convaincu que ce genre d’expérience extrême ne se refusait pas, j’ai décidé de me lancer et de faire confiance aux personnes qui m’avaient convaincu.
"Ma seule certitude ? Savoir que je partais pour 1 an sans possibilité de retour !"
Je me revois sur la proue du navire « Marion Dufresne », à 10 jours de mer de La Réunion et autant des îles Kerguelen, me disant que j’avais une aventure extraordinaire à vivre devant moi, même si je n’avais aucune idée de que j’allais bien pouvoir y faire contrairement aux autres hivernants qui avaient tous un boulot bien précis (ornitho, mécano, maçon, médecin…).
La seule certitude dont je disposais était que je partais pour 1 an sans possibilité de retour. Un stop à Crozet (avant les Kerguelen), le premier vol en hélico de ma vie, un atterrissage sur une plage pour ravitailler en nourriture une cabane, au milieu des manchots et des éléphants de mer, le dépaysement était total. Eh puis enfin, les Kerguelen !
Les Kerguelen c’est grand comme la Corse, avec la base scientifique et militaire à un endroit, et une trentaine de cabanes éparpillées sur toute l’île, permettant aux scientifiques de passer des semaines proches de leur sujet d’étude (une manchotière à 12h de marche de la base par exemple).
Les cabanes sont accessibles en tracteurs pour certaines, en petit bateau (chaland) pour celles qui sont dans le golfe du Morbihan (oui il y en a un là bas aussi), en hélico lors des rares passages du Marion Dufresne, ou à pied (10j de marche pour la plus lointaine).
Durant mon année sur place, mon rôle a été de coordonner toutes les activités scientifiques menées par l’IPEV: programmes ornitho, mammifères marins, chats, insectes, plantes, truites, sismique, magnétisme, ionosphère… ainsi que de ravitailler et d’entretenir les sites isolés.
Je me suis retrouvé confronté pour la première fois de ma vie au rôle de manager : gérer le matériel et la logistique, les hommes dans leur travail et leur vie de tous les jours dans un des endroits les plus isolés du globe. Ce fut là ma première grand expérience sur le terrain après la formation très théorique de Centrale Lyon. Pas grand chose à voir avec les équations et les théorèmes, mais je pense que la formation de l’école m’a aidé à appréhender des situations nouvelles et inconnues, et à les gérer.
Ensuite, je suis parti pendant 15 mois naviguer autour de l’Atlantique sur le navire Bel Espoir de l’association AJD dont le but est de réintégrer dans la société des personnes en difficulté (toxicomanes, sortis de prison, sans emplois…). Son outil : 2 grands voiliers, le Bel Espoir et le Rara Avis, et un chantier naval basé à l’Aber Wrac’h (Brest). Sa recette: le mélange social en mer.
"15 mois en mer, ou l'école de la débrouille..."
La mer impose des règles complètement différentes à celles des banlieues, les « kaïds » deviennent tout d’un coup de gentils chatons une fois au large avec un peu de houle. Mais le plus important c’est le mélange social. Si on ne met que des toxicos à bord, leurs conversations ne tourneront qu’autour de la drogue et ça ne les fera pas avancer (premières traversées pas très réussies du Bel Espoir en 1968).
Par contre, en mettant à bord, des vacanciers, des officiers de marine marchande qui valident des temps de navigations, des personnes en difficulté, des gens qui rêvaient de faire une transatlantique, des retraités etc. l’alchimie se crée et tout le monde participe à la manœuvre et à la vie à bord.
Non seulement les gens « normaux » se rendent compte que les personnes en difficulté ne sont pas nécessairement des marginaux irrécupérables, mais surtout les personnes en difficulté s’aperçoivent qu’elles sont capables de faire beaucoup de choses, et qu’elles sont finalement au même niveau que tout le monde. C’est ce regain de confiance qui est la clé et leur permet de reprendre pied dans une vie active
Pour l’AJD, l’intérêt de m’avoir à bord était à la fois d’apporter un ingénieur aventurier à ce mix social, et aussi d’avoir quelqu’un dans l’équipage capable de naviguer. Pendant les 6 premiers mois, j’étais plutôt « élève », mais pendant les 9 mois suivants j’étais dans le rôle du « leader » de l’équipage même si cela restait implicite et naturel sans d’ordre hiérarchique marqué.
Pour ma part, le Bel Espoir c’est surtout l’école de la débrouille ou comment réussir à venir à bout de problèmes techniques en utilisant les moyens du bord. Par exemple, il m’est arrivé de rebobiner à la main un alternateur de 15kW, parce qu’il fallait bien réparer le groupe électrogène d’une manière ou d’une autre et qu’il n’y avait pas de spécialiste dans les environs. Ça a l’air de rien, mais c’est une énorme force pour mon métier.
"Comment réussir à expliquer à un employeur pourquoi, avec un diplôme de Centrale, je cherchais un boulot de technicien ?"
Après ces deux expériences, j’ai voulu démarrer une carrière dans l’offshore - plates-formes pétrolières ou autres. Mais en débutant sur le terrain, d’une part parce que je préfère le grand air aux bureaux, mais surtout parce que je voulais maîtriser le sujet avant d’éventuellement prendre des postes à responsabilités.
Restait plus qu’à réussir à expliquer aux employeurs potentiels pourquoi avec un diplôme de Centrale, je cherchais un boulot de technicien… Je suis finalement tombé sur la société Travocéan, qui m’a pris comme freelance sur des chantiers ROVs (Remote Operated Vehicle - robots sous marins téléopérés) comme apprenti.
En 2010, je suis rentré chez Jifmar. Jifmar est une entreprise de travaux maritimes, avec pour mission de pouvoir offrir aux clients des solutions « clés en main ». Sur un chantier offshore, on peut facilement avoir de très grandes chaînes de sous traitance compliquées à gérer pour un client final (il m’est arrivé d’avoir 10 entreprises différentes sur un même bateau).
L’idée de Jifmar est donc d’offrir un service complet avec un seul intermédiaire. A cette époque, Jifmar c’était 30 personnes, des bateaux, des marins, des plongeurs, un bureau d’études et 3M€ de CA. Je suis arrivé pour lancer le département ROVs. Quand je suis parti fin 2016, Jifmar c’était 120 personnes pour 15M€ de CA et le département ROV représentait à peu près 10% de la boîte.
Mon profil d’ingénieur marin débrouillard est bien utile sur des chantiers offshore! Durant ma carrière chez Jifmar, j’ai été à la fois manager / directeur du département (je faisais partie du comité de direction) le tout, avec une très grand polyvalence :
J’ai passé plus de temps en mer ou sur les chantiers qu’au bureau, ayant toujours préféré l’action sur le terrain. Ma grande force était d’être capable de faire avancer les choses quelles que soient les circonstances.
"Sortir des standards en zappant les procédures pour résoudre des problèmes complexes, ça marche, à condition de savoir se jeter à l’eau !"
J’étais alors ce qu’on appelle un « Offshore Manager » même si ça veut tout et rien dire. C’est un mot équivalent à « chef de projet » ou « directeur des travaux ». Dans une grosse structure, l’offshore manager va suivre les indications et procédures émises par le chef de projet et le bureau d’études, dans une petite structure comme Jifmar, l’offshore manager fait tout.
Ca tombe bien, j’adore tester des solutions nouvelles quitte à me tromper. Sortir des standards en zappant les procédures pour résoudre des problèmes complexes, ça marche, à condition de savoir se jeter à l’eau !
Par exemple, je suis arrivé un jour sur un chantier ou le navire devait être ancré (donc moteurs éteints), avec un ROV sans TMS (système de protection) donc. Au dernier moment j’ai appris qu’on allait être en DP (positionnement dynamique – tous propulseurs en route). Là on aurait pu choisir d’annuler le chantier directement et planter le client, ou avoir 90% de chances de perdre le ROV dans les hélices.
J’ai dessiné sur un brouillon une espèce de cage en acier, qu’on a fait fabriquer par un petit chantier en France et livré en 24h au Danemark. Coût de l’opération: 5000€ à la place des 90 000 euros d’une TMS classique. Je n’étais absolument pas certain que ça allait marcher, mais finalement non seulement le chantier s’est super bien déroulé, mais en plus on a utilisé cette cage sur tous les chantiers suivants.
L'Antarctique, c'est fantastique !
Cumulant les congés et les jours de récup, j’ai réussi à me libérer 3 mois pour partir en Antarctique à bord du voilier de 2 de mes amis. Nous étions 5 à bord, pour un voyage à travers les mers les plus difficile afin d'atteindre la péninsule Antarctique avec comme objectif de marcher sur la banquise. De ce voyage, nous avons fait un film, amateur et à destination de nos amis à la base, mais qui plaît beaucoup au public. Il tourne actuellement dans les festivals et les écoles qui s’en servent à l’occasion de programmes éducatifs sur les pôles et l’Antarctique.
"Je suis convaincu que lorsqu’on sort d’une grande école, on a un devoir : celui d’utiliser nos capacités pour rendre le monde meilleur"
Et maintenant ?
Aujourd’hui, j’ai quitté Jifmar pour me consacrer à temps plein à mon projet de voyage « zéro impact », qui servira à sensibiliser le public au fait que nous citoyens avons les moyens d’infléchir nos modes de vie pour aller vers une humanité durable, respectueuse de notre planète et de ses habitants. Je suis convaincu que lorsqu’on sort d’une grande école, on a un devoir : celui d’utiliser nos capacités pour rendre le monde meilleur. C’est la raison principale pour laquelle je me lance dans le projet Innova Vis. C’est la prochaine étape de ma carrière.
Je vous laisse découvrir mon projet Innova en vidéo :
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.