Urgence écologique : l’ingénieur courroie de transmission des transformations à mener
Seconde partie de l’entretien que nous a accordé Nicolas Imbert (ECL99), Directeur exécutif de l’organisation non gouvernementale Green Cross France et Territoires, à l’occasion de la sortie de « Plaidoyer pour un monde (plus) durable, premier ouvrage de la collection « Re-panser la planète ». Il évoque pour Technica, les grandes transformations à mener pour faire face à l’urgence écologique et la place de l’ingénieur dans ces défis à venir.
L’ingénieur a un rôle important de courroie de transmission à jouer dans les transformations que nos sociétés vont devoir opérer. Si l’on observe l’histoire, nombre de ces transformations furent impulsées par des ingénieurs. Ce fut le cas à l’époque d’Aristote et de la libération des savoirs, de la Révolution Industrielle – pour le meilleur et pour le pire – mais aussi celle des schémas de mobilité.
L’un des échecs cuisant des ingénieurs des années 60 à 80 réside dans cet acharnement et cette incapacité à comprendre ce qu’était le métier de l’ingénierie, et à confondre la science avec le scientisme, religion qui déforme la science en prétendant avoir raison sur tout, et en tordant le cou des modélisations pour que la réalité corresponde à l’image qu’un scientiste s’en fait. Beaucoup de ces ingénieurs décideurs ont ainsi longtemps estimé que, parce qu’ils possédaient les clés, les autres avaient forcément une tête de boulon. Ceci a conduit à délibérément omettre de nombreux champs de la réalité, en particulier les risques multifactoriels, au seul motif que, puisqu’on ne savait pas les modéliser, ils n’existaient pas. L’enquête internationale « Toxique » menée par le collectif Disclose et le Programme Science & Global Security de Princeton, a montré que cette idéologie pouvait conduire à des dissimulations de preuves et à des déformations d’analyse et de faits, avec des conséquences dramatiques sur l’exposition, le suivi et le soin des populations. Il n’y a pas pire obscurantisme que celui-ci.
Heureusement, les choses évoluent et une génération d’ingénieurs est en train de se mettre en phase avec les attentes de la société notamment sur les questions physico-chimiques. Ces ingénieurs prennent ainsi en compte dans leur démarche, les comportements cognitifs individuels et collectifs, afin d’être capables de faire évoluer des sociétés, tout en conservant une position de citoyen avec un savoir particulier, et non des « sachants » face à des ignorants. L’ingénieur contribue de cette façon au débat public global, en tant qu’humain avec les pieds sur Terre, en faisant partie de ceux qui éclairent les choix et qui permettent à la société de décider ce qui est bon pour elle, sans pour autant décider pour elle. L’ingénieur devient ainsi un levier d’accélération de la transformation écologique, mais aussi une des personnalités essentielles qui va bâtir le monde de demain. Ces comportements d’ingénieur en interaction avec la société civile et en appui des choix décidés sont de plus en plus valorisés désormais au-delà des métiers traditionnels que l’ingénierie, et en particulier dans les secteurs de la santé, mais aussi les secteurs en lien avec la relation grand public, la consommation et la citoyenneté.
Le temps d’agir
Pendant que nous réalisons cet entretien se tient le Forum Economique Mondial à Davos qui réunit les décideurs économiques et politiques de la planète pour, entre-autres choses, travailler sur cette urgence. Une urgence qui paradoxalement était prévisible depuis les travaux du club de Rome en 1972, puis le rapport de Sir Nicholas Stern en 2006. En 2005 et 2012, Emmanuel Macron, alors jeune membre du Think Tank Terra Nova, participait déjà à des conférences sur ces impulsions à agir. La question n’est donc pas de savoir si nous pouvions prévoir, anticiper voire éviter les crises écologiques auxquelles nous faisons face, mais s’il n’est pas trop tard pour agir ? Nous n’échapperons pas aux conséquences de notre inaction passée, mais la bonne nouvelle est que nous avons sans doute encore cinq à dix ans pour permettre à notre système actuel de faire sa mue à condition de se fixer les bonnes priorités.
L’une d’entre elle est de profiter de l’énergie chère pour changer d’échelle dans l’efficacité énergétique – et en particulier la rénovation énergétique – ce qui permettra également de financer un bien plus large déploiement des énergies renouvelables, dans toute leur diversité : solaire, éolien biomasse ou mix des trois.
Il faut agir dès aujourd’hui sans attendre une impulsion politique. Car les vrais leviers de la transformation se trouvent au niveau des territoires avec des initiatives d’acteurs économiques et citoyens qui se multiplient, au point d’attirer des capitaux investisseurs qui réalisent les mêmes procédés spéculatifs dans l’économie verte que ceux qui existaient hier dans l’économie grise.
La question de l’alimentation et de la résilience alimentaire apparaît également centrale dans les transformations à opérer. Ce sera d’ailleurs le sujet du prochain ouvrage de la collection « Re-panser la planète » dont « Plaidoyer pour une monde (plus) durable » se veut le point de départ.
Mieux manger et mieux consommer n’est plus une démarche réservée aux bobos. C’est une question de société et pas uniquement d’un point de vue du bien-être. La crise de la Covid et la guerre en Ukraine ont montré la fragilité des chaînes d’approvisionnement des produits de base de notre alimentation. Il faut réussir à relocaliser ce qui est possible, trouver des solutions alternatives aux produits voués à se raréfier, mais aussi repenser la politique agricole en limitant les intrants dans l’exploitation de nos sols.
Là aussi, l’ingénieur a toute sa place face à ces défis. On voit d’ailleurs de plus en plus de jeunes ingénieurs attirés par les métiers agricoles, et qui passent leur Brevet Professionnel Responsable d'Exploitation Agricole (BPREA), ou qui plus généralement réinvestissent les filières alimentaires, soit du côté de l’amont productif et des terres, soit de celui des savoir-faire de production et de transformation, sans oublier celui de la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Je prévois également d’effectuer un ouvrage montrant que l’énergie chère nous permet d’accélérer la bascule vers une économie de l’efficience énergétique. J’y présenterais des solutions qui existent déjà pour gagner en autonomie énergétique, grâce à l’autoconsommation mais aussi à une meilleure isolation des bâtiments. Je travaille aussi sur un ouvrage qui s’intéressera aux changements de nos habitudes et modes de vie d’un point de vue positif et enthousiaste, avec l’ambition de migrer d’une société de bâtisseurs vers une société du ménagement qui transforme, fait évoluer, et reconvertit, en résumé sait être plus agile pour agir face au stress du quotidien sans laisser personne au bord de la route.
Cette collection « Re-panser la planète » s’appuie sur une démarche d’ingénieur en éclairant chacune des solutions avancées, avec des clés pour agir, des retours d’expérience, et une volonté de partage et de dialogue pour favoriser le vivre-ensemble. L’idée n’est ni d’être dans l’utopie, ni dans le YakaFoKon. On ne doit pas être prescripteurs sur quel est le meilleur choix, mais regarder ce qui est concrètement possible. Aujourd’hui les notions de propriété et de secrets industriels ont beaucoup de difficulté à se confronter au monde moderne et sont des freins aux transformations nécessaires face à l’ urgence climatique. Mon ambition est de porter à la connaissance de tous des pistes de solution et les mettre en relation avec des réseaux et des acteurs de cette transformation. Peu importe l’engagement que cela prend, du moment que chacun devient acteur à son niveau des transformations à mener.
Vous pouvez obtenir le livre de Nicolas Imbert "Plaidoyer pour un monde (plus) durable" auprès de vos libraires ISBN- 978-2493575234 – mini-site dédié à l’ouvrage : http://bit.ly/MondeDurable
1 Commentaire
L'ingénieur n'est pas une "courroie de transmission" (terme que je trouve passif, voire négatif) entre des politiques pleines de bonnes intentions et la vie quotidienne. L'ingénieur doit retrouver sa place dans la discussion initiale et dans la définition des politiques, jouer son rôle dans l'innovation puis son déploiement. Il faut replacer la technique et la science au coeur du processus, avec effectivement des ingénieurs qui savent écouter - face à, ou plutôt en coopération avec, des politiques qui devraient parfois aussi apprendre à écouter !
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