Cursus d’ingénieur et Transition écologique et sociétale : les étudiants des Écoles Centrale se mobilisent
Regroupés au sein du collectif GITE – Groupe InterCentrale pour la Transition Écologique – les représentants des étudiants des Écoles Centrale ont produit une feuille de route riche de 6 engagements qui visent à inclure davantage les enjeux Sociaux, Environnementaux, Éthiques et Démocratiques (SEED) dans la formation des ingénieurs. Nous avons rencontré Marion George (ECL 2020) responsable des relations extérieures pour l’association Planet&Co et Bastien Carel (ECL 2020) qui reviennent pour Technica sur leur participation et attentes vis à vis de cet ambitieux projet.
- Bonjour à tous les deux. Pourquoi vous être investis personnellement dans le GITE et qu'attendiez-vous au départ de cette démarche collective ?
Marion : Bonjour. Initialement, en tant que responsable des relations extérieures à Planet&Co, mon implication était comprise dans mon rôle dans l'association. Cela était totalement cohérent avec mes convictions et mon avis concernant l'actuelle prise en compte des enjeux de la transition écologique dans le cursus de l'ECL, c'est pour cela que je me suis fortement impliquée dans le GITE dès ma prise de poste dans l'association c'est à dire fin février. J'avais l'espoir que la formation d'ingénieur Centralien puisse évoluer afin de sensibiliser tous les étudiants et faire en sorte qu'en tant qu'ingénieurs, nous soyons capables de nous confronter aux enjeux sociétaux.
Bastien : En arrivant en École d'ingénieur, consacrer du temps pour essayer de sortir du piège dans lequel notre société s'est engagée me paraissait être une évidence. Le GITE m'a offert une opportunité de m'engager en réfléchissant à la formation des ingénieurs alors même que je me demandais quel rôle pouvaient jouer ces derniers dans la lutte contre le réchauffement climatique. Au GITE, je voulais rencontrer d'autres étudiants partageant cette interrogation, et agir pour que les réponses à cette question soient contenues dans la formation de l'ingénieur centralien.
- Comment se sont déroulés les échanges pour aboutir aux 6 engagements en faveur de la transition écologique ?
De nombreuses réunions ont eu lieu, certaines seulement entre étudiants pour organiser un travail interne (toutes les semaines) et d'autres entre les étudiants et les Directeurs Développement Durables des Écoles Centrales (toutes les 3 semaines).
Les réunions du GITE avec les responsables des différentes Écoles sont nées d'une volonté commune d'inclure davantage les enjeux Sociaux, Environnementaux, Éthiques et Démocratiques (SEED) dans la formation des ingénieurs. Les premières réunions étaient dédiées à la construction d'un projet commun (comment travailler ensemble, avec quels objectifs concrets ?).
En remarquant que chaque École Centrale avait déjà commencé, indépendamment, à inclure ces enjeux dans son cursus, le premier objectif fut de partager les bonnes pratiques des différentes écoles. Chaque Directeur du Développement Durable a ainsi présenté les projets et actions de son établissement. Les discussions se sont ensuite orientées vers les meilleures pratiques à retenir et à rendre communes à toutes les Écoles Centrale. De celles-ci ont découlé les 6 propositions qui, après négociation par les directeurs, ont été acceptées.
- Pouvez-vous nous détailler avec des exemples concrets les 6 engagements nés de cet accord ? En quoi représentent-t-ils une évolution par rapport à ce qui est déjà fait au sein de l'Ecole Centrale de Lyon ?
1 - Estampiller les projets (« projet d’étude », « projet étudiant en entreprise » etc..) selon les 17 objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU.
De la même manière que cela est fait dans plusieurs universités des pays scandinaves (Ex du site de l'université NTNU en Norvège), l'idée est ici d'associer aux différents projets du cursus ingénieur les objectifs de développement durable. Cela permettra de visualiser plus facilement les enjeux étudiés dans ces projets.
Par exemple, le projet auquel j’ai (Marion) participé l'année dernière s'inscrivait sans le savoir au départ dans le cadre des enjeux "Soutenir les personnes marginalisées et défavorisées, éviter le Gaspillage de l'eau et Lutter contre le réchauffement climatique". Nous les avons identifiés nous-même mais cela aurait été intéressant que nous le sachions dès le départ afin d’avoir une meilleure vision d’ensemble des enjeux associés. Cela aurait également pu motiver d’autres élèves à s’y investir.
Le travail d'associer des ODD aux projets proposés permet ainsi d'identifier les objectifs qui sont abordés dans la formation des ingénieurs selon des critères internationaux. Cela n’est pas toujours évident pour nous étudiants.
Avant de commencer à changer la formation, il faut la connaître en détail. Identifier des ODD au sein des projets donne une grille d'analyse dont nous avons besoin pour avoir une vision d'ensemble de ce qui existe déjà. Cela permettra par exemple de repérer si certains objectifs sont sur-représentés par rapport à d'autres, et ainsi orienter plus efficacement la sélection des sujets de projets.
2 - Inclure dans le tronc commun un cours sur les enjeux socio-environnementaux.
Tous les étudiants des Écoles Centrale commencent leur cursus par un tronc commun permettant d'acquérir une base de connaissances solides sur des sujets variés. Cependant, les enjeux socio-environnementaux y sont très peu abordés. L'idée serait de rajouter un cours obligatoire pour tous les élèves arrivant en première année pour qu'aucun d’entre-eux ne puisse sortir de l’École sans avoir reçu des notions de base sur ces sujets. Des mesures pour sensibiliser les élèves sont déjà présentes (Fresques du climat) mais elles sont loin d'être suffisantes. Les modalités sont encore à définir, que ce soit un cours en présentiel dispensé dans toutes les écoles ou un MOOC (Massive Open Online Course) disponible en ligne pour les élèves. Centrale Nantes apparaît ici comme le bon modèle à suivre puisque c'est la première Ecole Centrale à proposer un tel cours en première année.
3 - Créer une liste commune d’électifs réunis sous un label et portant sur des thèmes importants trop peu voire pas abordés (croissance, low-tech, éthique, biodiversité...), également estampillés selon les ODD.
Il s’agit de permettre aux étudiants d'étudier de manière détaillée ces thématiques en leur proposant des électifs, notamment pour le semestre 8 dédié aux cours choisis par les étudiants de Centrale Lyon. Pour faciliter l'appréhension du lien avec les ODD, l'idée est de faire la même chose que les recommandations de la première proposition : Estampiller les projets (« projet d’étude », « projet étudiant en entreprise » etc..) selon les 17 objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU.
4 - Créer une unité d’enseignement (UE) composée de plusieurs conférences ; la validation de l’UE serait conditionnée au fait d’assister à un minimum d’entre-elles.
L’idée est d’inciter les élèves à assister à des conférences sur des sujets variés, incluant les enjeux environnementaux mais aussi sociaux et démocratiques (égalité H/F, éthique de l'ingénieur, liberté d'expression, propriété intellectuelle...). L'ouverture d'esprit est une qualité importante que se doit d'avoir un ingénieur centralien, en tant qu'ingénieur généraliste et citoyen.
Pour cela, la validation d'une unité d'enseignement (ensemble de cours qui doit être validé par une note au-dessus de la moyenne ou une validation) et par conséquent la validation de l'année scolaire, serait soumise au fait d'assister à un certain nombre de conférences. Cela est possible dans la mesure où suffisamment de conférences sont proposées dans chaque École.
Ceci repose sur ce qui se fait déjà à Centrale Lyon dans l'UE Pro, où au moins une conférence est organisée chaque semaine, et avec la possibilité de faire valider par l'administration la participation à des conférences hors cadre de l'école. Cette mesure aura probablement peu d'impacts à Centrale Lyon étant donné que l’École en est l'exemple initial.
Par exemple, le diagnostic de la biodiversité sur le campus de l'ECL a été suivi d'une conférence présentant le métier d'écologue et le diagnostic réalisé.
5 - Valoriser l’engagement citoyen ou associatif (selon un certain volume horaire) comme condition de validation du diplôme ou via des crédits ECTS.
Nous souhaitons inciter les élèves à s'engager dans le cadre social ou écologique en s'investissant dans une association par exemple. Cet investissement ramené à un nombre d'heures passées dans ce cadre permettrait d'obtenir des crédits ECTS. L'idée étant d'imposer un engagement d'un certain volume horaire pour valider son diplôme.
De manière concrète, les élèves devraient consacrer un certain volume horaire (encore à définir) à une association en participant activement aux réunions et projets. Il y a encore du travail à fournir pour définir les modalités de validation d'une telle activité, éviter le laxisme mais aussi laisser un minimum de liberté aux élèves sur leur degré d'implication associative.
À Centrale Lyon, l’associatif déjà fortement valorisé n’en sera que renforcé. A titre d’exemples, les jeudis après-midi sont déjà réservés aux activités associatives, et nous pouvons tout au long de l’année être excusés d'absences en cours pour des raisons associatives.
6 - Créer une charte biodiversité sur le campus.
Apporter plus de biodiversité sur les campus des Écoles Centrale en favorisant des espaces verts variés. Des diagnostics de biodiversité peuvent être réalisés pour amener des solutions défendant la protection de la faune et de la flore locale.
En général, ces objectifs représentent une évolution dans la mesure où peu d'actions concrètes et visibles sont réalisées par l'ECL. Si certains objectifs sont déjà bien avancés à Lyon comme l'UE concernant les conférences ou le diagnostic biodiversité réalisé en septembre par Etamine, il manque principalement l'aspect d'apprentissage des connaissances par des cours.
- Merci pour toutes ces précisions. Avez-vous l'impression qu'il existe une différence entre les attentes des étudiants ingénieurs de l'ECL et la formation dispensée par rapport aux problématiques liées à la transition écologique ? Quelles sont les améliorations qui pourraient être apportées ?
Marion : De nombreux étudiants semblent sensibles aux enjeux environnementaux. Pour des ingénieurs généralistes devant être conscients des enjeux sociétaux pour agir dans le contexte actuel, il manque selon moi, un fort apport en termes de cours basés sur les enjeux socio-environnementaux. La légitimité de l'action du GITE a été vérifiée à travers un questionnaire auquel ont répondu 669 élèves de 4 des Écoles (Lille, Lyon, Marseille, Nantes) (à CentraleSupélec, ils ont déjà des questionnaires similaires) : plus de 80% des sondés ont répondu que la formation d'ingénieur avait besoin d'être améliorée vis à vis des enjeux SEED et 68% considéraient que les enjeux environnementaux n'étaient pas assez présents. L'application des 6 propositions établies permettrait donc d'aller dans le sens de l'avis général.
Bastien : Je partage l'avis de Marion sur l'importance de ces sujets pour les ingénieurs généralistes. Les résultats du sondage montrent bien une différence entre les attentes des élèves et la formation proposée. Je pense que l'attitude des Écoles, en acceptant de travailler avec nous, de nous écouter est remarquable, et assez unique.
Il ne faut pas oublier que le rôle des Écoles est de nous donner une formation débouchant sur un emploi. Elles ont en quelques sorte un rôle de tampon à jouer entre les attentes des élèves et celles des employeurs. Je ne pense pas que satisfaire les attentes des élèves sans prendre le temps de les évaluer et d'en discuter avec eux soit la solution. Il est donc normal que sur des questions dont se sont emparés les élèves il y a moins de 10 ans, et à propos desquelles les attentes ont explosé en l'espace de quelques années, un écart subsiste entre les désirs des élèves et la réalité de leur formation. Les Écoles instaurent une inertie qu'on voudrait éviter mais qui assure une nécessaire continuité dans les compétences des ingénieurs.
Je pense que si nous voulons accélérer les choses, c'est avec davantage d'engagement des élèves que nous y parviendrons. Ce n'est peut-être pas qu'à cause d'un manque d'engagement (engagement dans d'autres activités, communication insuffisante de notre part, désir de divertissement légitime après deux ans de prépa...), mais je trouve qu'il y a un écart intrigant entre le nombre de personnes qui disent être sensibles et le nombre de personnes qui agissent, par exemple en rejoignant le GITE.
Quelles différences entre ces 6 engagements du GITE et l'Accord de Grenoble dont l'ECL est signataire ?
Marion : L'accord de Grenoble signé par l’École est composé de différents principes sur lesquels l’établissement s'engage mais les termes d'application ne sont pas définis. Nous ne connaissons pas le détail des points validés. A l’inverse, les 6 propositions du GITE sont précises et engagent les Écoles sur des moyens d'action pour inclure les enjeux de la transition écologique dans le cursus et dans le campus en général.
Bastien : Signer l'accord de Grenoble permet aussi de montrer l'implication des Écoles centrale par rapport à ces problématiques au niveau national et de les inclure dans le projet à plus grande échelle de "mise à jour" de l'éducation supérieure. Les 6 mesures du GITE servent ainsi de support, d'application de la signature des Accords de Grenoble.
- Les engagements du GITE ont-ils une valeur contraignante pour l’École ?
Marion : Ce sont des objectifs vers lesquels doivent tendre les Écoles. Certaines mesures ne pourront pas être appliquées de la même manière selon les établissements, il est donc difficile de les contraindre à respecter ces propositions. En effet, la dernière induit par exemple une main mise sur les décisions concernant le campus ce qui n'est pas le cas lorsque l’École est sur un campus géré par une université (exemple de Centrale Lille).
Bastien : Le travail du GITE est une première tentative pour tenter de faire changer les formations, et nous avons peut-être fait une erreur en laissant ces engagements être signés sans contraintes explicites. Laissons aux administrations la possibilité de nous surprendre comme elles nous ont surpris en acceptant de travailler avec nous !
- Quel suivi de ces engagements sont prévus à l'avenir ?
Marion : Cette question fait partie des objectifs de cette année pour le GITE. Effectivement, cela a déjà été discuté lors de la première réunion et devrait donc se préciser dans les prochaines semaines. Un réel suivi est attendu par les élèves investis dans le GITE.
Bastien : Il sera probablement effectué par un représentant du GITE dans chaque École, accompagné du directeur Développement Durable de son école.
- Plus largement, on entend souvent que les futures générations d'ingés actuellement en formation, sont conscientes du rôle qu'elles auront à jouer demain en faveur de la transition écologique... Confirmez-vous cette prise de conscience chez les étudiants que vous côtoyez et leur volonté de devenir acteur de cette révolution à mener ?
Marion : Cela est très variable selon les personnes mais les questionnaires ont souligné le fait que cela est le cas de la majorité des étudiants.
Bastien : Je m'attendais en arrivant en école à plus d'engagement de la part des élèves ingénieurs, même si les sondages montrent une forte sensibilité des élèves (la sensibilité est très différente de la volonté d'engagement malheureusement...). Comme je l'ai dit plus haut, je pense avoir sous-estimé l'effet "sortie de prépa", et il me parait aussi assez peu étonnant que de jeunes adultes n'aient pas envie de s’engager : je ne pense pas que notre génération s'illustre particulièrement par son engagement par rapport aux autres, il est juste plus visible (médias, réseaux sociaux...).
Merci !
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