Dans la peau de Charles Bernard (ECL 2002), VP Downhole Gauges et Business Unit Manager de Metrolog et GRC
Leaders mondiaux d'outils de fond de puits pétrole et gaz
Toulousain, amateur de rugby, j’intègre Centrale Lyon en 1999 après des classes préparatoires au Lycée Pierre de Fermat. Diplômé en 2002, spécialité propulsion aéronautique, après 3 ans d’une vie privilégiée d’étudiant, je me retrouve en recherche d’emploi… Inattendu lorsque les étudiants de la promotion précédente n’avaient qu’à choisir entre les offres qui leurs étaient proposées. Mais la deuxième guerre du Golfe vient d’éclater et les entreprises se replient sur elles-mêmes dans la crainte d’une nouvelle crise économique… et peut être énergétique.
Le pétrole déjà
J’entre en 2003 chez Sagem, aujourd’hui Safran Electronic & Defense, comme jeune ingénieur concepteur de têtes chercheuses de missiles. J’y reste 4 ans où j’ai l’impression de compléter ma formation à l’ECL. Tout y passe : cryogénie, tribologie, mécanique des fluides, physique quantique, microélectronique, micromécanique, essais, qualifications, optique, optronique, couches minces, etc. Ce fut un formidable laboratoire d’études et d’essais sur des produits hautement techniques et avec des exigences terrain complexes. Le travail est exigeant et les sujets sont passionnants ; mes mentors sont de véritables passeurs de savoir… mais j’ai besoin de voir autre chose, de voir le monde et je n’ai plus envie d’être 1 parmi N dans une structure qui me dépasse.
Je passe alors un entretien inattendu avec le dirigeant de Metrolog. Une TPE basée à Toulouse spécialisée dans la fabrication de sondes de pression et de température pour les puits pétroliers. Je me présente en short basket sans trop y croire, en candidat pour un poste de commercial pour une entreprise qui, je le pense alors, fabriquerait des tubes… et chose incroyable, je décroche le poste. Je me lance donc au sein d’une entreprise de 12 personnes à parcourir la face cachée du monde : Dammam (Arabie Saoudite), Quito (Equateur), Islamabad (Pakistan), Aksai (Kazakhstan), Neuquen (Argentine), Hassi-Messaoud (Algérie), Gabon, Congo, RDC, Turquie… et bien d’autres encore. Pendant 4 ans je sillonne et découvre le monde de l’or noir. J’en profite pour assouvir mon goût pour la géopolitique, déjà bien servi lors de mon passage dans l’industrie de l’armement.
Et me voilà responsable de notre – très petit – service commercial. L’entreprise a entre-temps été rachetée par Sercel, une ETI française, spécialiste de la sismique pétrolière, basée à Nantes et qui souhaite se diversifier. Le succès de notre petite structure toulousaine est tel que Sercel s’embarque avec nous en 2012 dans le rachat d’un de nos concurrents, GRC : entreprise américaine de presque 100 ans d’existence aujourd’hui, basée dans l’Oklahoma aux États-Unis. Il nous faut un « contact » de confiance sur place, connaissant le métier, la langue, bref je décolle avec ma compagne pour l’état le plus républicain de tous, connu par Wikipédia pour être une plaque tournante de la drogue et célèbre pour ses émeutes raciales du début du XXème siècle.
Une expérience à l'international...
Un mariage à Las Vegas en 4e vitesse et quelques burgers plus tard me voilà directeur adjoint du site : 100 personnes, un CA de plusieurs dizaines de millions de dollars, Français au milieu des rednecks. L’expérience est alors incroyable. La chaleur et la gentillesse des Américains nous surprennent. Nous sommes entraînés par nos amis de Tulsa dans un pèlerinage à travers la culture américaine. La musique, omniprésente, le football (américain lui aussi), le baseball, les paysages somptueux, la fierté d’une nation, l’importance du drapeau et ce rêve commun de réussite. Mais nous découvrons aussi la misère des gens, même de ceux qui travaillent et souvent cumulent deux emplois, un système de santé hors de prix, la cupidité sans limite, l’omniprésence de monopoles, le racisme, l’homophobie, la ségrégation et la sacro-sainte « freedom » qui semble souvent être, pour l’européen que je suis, plus un vecteur de contrainte, voire de manipulation, que de liberté véritable.
Ce pays a deux facettes et notre fascination n’en est que plus grande pour la première puissance mondiale et la formidable énergie qui s’en dégage.
Au niveau professionnel, ma venue aux US s’accompagne de l’explosion des prix du baril et donc de nos ventes. Nous triplons le CA en 3 ans, les résultats sont excellents, l’intégration se passe à merveille. La formation que j’ai reçue, à la fois à l’ECL et au cours de mon poste chez Safran, est déterminante. Je suis un couteau suisse au milieu des spécialistes. De manière surprenante pour un étranger fraîchement débarqué dans le Midwest et où j’aurais pu apparaître comme l’œil de moscou, mon côté pluridisciplinaire apporte du liant dans une entreprise qui en manque beaucoup et où les services fonctionnent en silo.
... Et un retour en France !
Puis une nouvelle opportunité se présente en France en 2015. Le responsable de Metrolog quitte ses fonctions et je me présente pour le remplacer. Ma femme, qui venait de boucler, une seconde fois, ses études de médecine, cette fois aux États-Unis, retourne avec moi à Toulouse. Nous retrouvons avec un immense plaisir nos familles, nos amis et fondons un foyer dans la région.
Mais cette fois la situation économique et du marché pétrolier a changé. Le West Texas Index (baril de référence aux US) a plongé de 110 à 33$ en quelques semaines. Les marchés s’effondrent et la demande pour nos produits avec. Plan de sauvegarde de l’emploi, gestion des départs, marchés en berne, etc. La musique n’est plus aussi chantante que pendant les 10 ans de montée ininterrompue des prix. Nos concurrents, principalement nord-américains, se musclent, il nous faut faire des choix stratégiques et techniques forts. Ils portent aujourd’hui leurs fruits.
Depuis 2019 je suis en charge des entités GRC et Metrolog, soit environ 60 personnes à ce jour. J’ai la chance de continuer de travailler avec un pied de chaque côté de l’Atlantique et d’en connaître les cultures. Comme toujours dans le pétrole, il y a des très hauts et des très bas. Notre marché est un marché de dupes, régulé par un cartel, l’OPEP+, qui a la main sur le robinet et le prix de l’or noir. Il faut s’y préparer et travailler avec cette contrainte pour en souffrir le moins possible dans les moments difficiles. Techniquement, nous avons ouvert une salle blanche ISO 5, avons développé nos propres électroniques hybrides (Multi Chip Modules pour les connaisseurs), travaillons à des températures pouvant aller jusqu’à 250°C. Metrolog et GRC sont devenus une des deux références mondiales dans leurs domaines respectifs. A big fish in a small pond comme disent les ricains.
Et demain alors ?
Il en reste du pétrole ? Et l’écologie, la biodiversité et le réchauffement climatique ?
Ces questions nous nous les posons tous les jours.
Au rythme de la consommation pétrolière du monde (environ 100 millions de barils engloutis chaque jour par l’humanité, soit environ 50 à 100 super tankers), il nous resterait entre 20 (ASPO) et 40 ans (BP) de réserves. Avec, comme toujours, son lot d’incertitudes sur les réserves réelles en place et celles que nous trouverons demain.
L’industrie pétrolière est polluante, je dirais par nature comme toutes les industries, mais il est clair que plus le prix du baril est cher plus elle le sera, ce qui est un paradoxe en comparaison d’autres secteurs où l’augmentation du prix de l’énergie est associée généralement à la mise en place de mesures d’économie et donc d’écologie. À 100$ le baril, les sables bitumeux du Canada seront de nouveau exploités, désastre écologique. À 200$ le baril, où irons-nous chercher nos réserves ? La raréfaction du pétrole, notre consommation effrénée et l’augmentation inhérente de son prix, poussent l’humanité à chercher plus loin, plus profond et contribuent ainsi au déséquilibre du monde.
Alors ? What’s next ? Difficile de prévoir à moyen terme bien sûr. Les débats sur l’énergie sont nombreux. Le charbon doit être définitivement éradiqué de nos modes de production d’électricité. D’ici là, le pétrole, et surtout le gaz, ont encore quelques belles années devant eux. Le nucléaire se relance timidement, les RE (Renewable Energy) ont de l’avenir mais ne supplanteront pas les énergies fossiles sans un compromis global et la fusion est à plus de 70 ans de pouvoir prendre le relais. S’il existe une solution pour notre planète alors elle s’appelle la sobriété. L’humanité, gavée aux énergies fossiles depuis presque 150 ans, ne semble pourtant pas prête à s’y convertir. Mais contrairement à un stéréotype tenace, travailler dans le pétrole ne nous empêche pas de construire notre démarche RSE, venir travailler à vélo, faire attention à notre impact environnemental, et imaginer un autre futur : séquestration du carbone, exploration de l’hydrogène, etc. et inventer ainsi nos marchés de demain.
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