HOANG TSEN-YUE (promo 1924) - Une vie pour la Chine
Parcours d'une vie d'un étudiant chinois passé par Centrale Lyon (promo 1924) qui a vécu au rythme de l'histoire de son pays.
Centralien, philosophe, poète, philanthrope et patriote
Début mars 2018, mon ami Simon (ECL2010) postait sur le forum WeChat du GCC (ndr. WeChat 微信 est le plus grand réseau social Chinois, la réplique améliorée de Twitter comptant environ 900 millions d’abonnés actifs en 2018. Le GCC est le Groupement des Centraliens de Chine, groupe inter-écoles des Centraliens et Supélecs en Chine ou connecté avec la Chine) une page du site de la bibliothèque Michel Serres de Centrale Lyon. Il y était question d’un certain Hoang Tsen Yué (ECL1924) ayant publié un livre de philosophie chinoise en 1934 intitulé "Etude comparative sur les Philosophies de Lao Tseu, Khong Tseu (Confucius) et Mo Tseu (Mécius)" basé sur sa thèse et d’un article paru dans Technica à l’époque.
Il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité alors que j’étais en train de mener des recherches sur les Centraliens de Paris d’origine chinoise dans la première partie du XXe siècle.
Je lançais donc une recherche google et je retrouvais quelques documents se référant au livre ou à la thèse du camarade Hoang ; seul sortait du lot un papier académique de Marie-Julie MAITRE : Géopolitique du savoir et philosophie dans le contexte de l’Institut franco-chinois de Lyon (disponible sur openedition.org), qui prenait en exemple deux étudiants chinois de l’IFC, Yuan Zhuoying 袁擢英et Huang Zengyue 黃曾樾.
Grâce à ce papier qui n’ouvrait qu’une petite fenêtre sur la vie de Hoang, j’apprenais son nom chinois, 黃曾樾, et sa transcription en hanyu pinyin, la forme de romanisation la plus largement utilisée depuis les années 80 et l’ « ouverture de la Chine ». Ceci me permettait de faire des recherches dans le web chinois, ce qui se révéla particulièrement intéressant.
Malgré mon niveau fort limité de chinois et en l’absence de volontaire sinophone pour s’attaquer à la vie et l’œuvre de ce Centralien lyonnais, je m’attelais à la tâche. Je plaide donc l’indulgence et souhaite que cet article puisse susciter une recherche plus approfondie et les corrections – malheureusement – nécessaires.
Genèse
Hoang Tsen-yué (黄曾樾Huang Zengyue, nom de courtoise 荫亭 Yinting) est le fils d’une famille de notables locaux du comté de Yong’an dans le Fujian. Il naît le 24 avril à Changle où réside son grand-père paternel, directeur de l’école du comté. A l’âge de 2 ans, il quitte la côte pour Xiaha, village du comté de Yong’an, d’où provient sa famille. À 5 ans il commence ses études auprès du maître Nie Shiwei 聂诗维dans une école privée du lieu. Puis, à 8 ans, il suit son père qui retourne à Fuzhou.
En 1911, il entre à l’école de l’Arsenal de Fuzhou, école technique et navale où l’enseignement se fait en français. Il en sort en 1918 après un brillant cursus. Il est affecté comme professeur de Chinois à l’école normale de Nanping et enseigne concurremment à l’école secondaire n°4 de la ville.
En 1920 alors que la Chine est divisée par les « Seigneurs de la guerre », le gouvernement militaire du Fujian, demande à chaque comté de désigner leurs brillants jeunes intellectuels afin qu’ils partent étudier en France. (ndr. Le Comté de Yong’an envoie 3 jeunes gens et lève des taxes sur le sucre, les porcelets et la chaux afin de payer leurs bourses d’étude).
En février 1921 il arrive donc à Lyon et étudie les mathématiques avant d’entrer à l’École Centrale Lyonnaise en septembre. Il en sort diplômé de la promotion 1924. Pendant ses années à Centrale, il est logé dans une chambre d’ouvrier. Sa bourse n’arrivant que rarement suite aux troubles affectant sa province du Fujian, il ne peut pas toujours régler son loyer. Son propriétaire devra même lui prêter 50 francs pour qu’il puisse continuer à subsister.
Son diplôme d’ingénieur en poche, il s’inscrit à la faculté de lettre de l’Université de Lyon. Il emménage alors à l’Institut Franco-Chinois qui a ouvert ses portes récemment dans le fort St Irénée sur les hauteurs qui domine la Saône.
Sous la direction d’Edmond Goblot, il présente sa thèse sur les philosophes classiques chinois : Étude comparative sur les philosophies de Lao Tseu, Khong Tseu, Mo Tseu. Cette thèse donnera lieu à un développement qui se verra couronné en 1934 par la publication simultanée à Lyon et Paris d’un livre qui fait encore référence. La thèse de Hoang tente de montrer la continuité des philosophies occidentales et orientales, ce qui fait tiquer plus d’un en Europe, comme l’illustre l’article de Marc Chardoune dans le Petit Parisien.
EXTRAIT de l’ARTICLE de MARC CHARDOURNE dans le PETIT PARISIEN du 18 août 1931.
"Voici un exemple de leurs capacités moyennes, ce sont les premières lignes d'un article sur le « Confucianisme et la Chine nouvelle » que donna à une revue dont j'avais charge, et qui, d'ailleurs, ne parut jamais pour des raisons qui n'ont rien à faire ici, un jeune et gracieux fonctionnaire de la municipalité de Nankin, M. Hoang Tsen Yue, docteur ès lettres, sur qui nos promoteurs chinois fondaient les plus grands espoirs"
« Jusqu'ici l'humanité s'est épanouie sur deux grands théâtres (sic), éclairés par deux gerbes d'étincelles, deux feux d'artifice dans la nuit. L'écran est tombé. La terre, sillonnée en tous sens par l'activité humaine, ne peut plus contenir de pays fermé. Depuis un siècle, les portes de la Chine, sur lesquelles ont déferlé les vagues scientifiques européennes, demeurent grandement ouvertes. Manquant d'éléments de comparaison, la patrie de Confucius, qui évoluait lentement, marche à pas de géant et fait concurrence à la supériorité matérielle de l'E2crope (sic). Ainsi, non seulement la grandeur de la puissance mécanique nous fascine, la beauté des magnifiques découvertes nous enivre, mais nous admirons également la synthèse méthodique, la dialectique logique, l'esprit scientifique des penseurs occidentaux car nous retrouvons sous le himation d'Aristote, sous la toge de Cicéron, sous le pourpoint de Descartes, la même raison que nous trouvons sous la robe de Confucius. »
Dois-je borner ma citation à ce morceau que j'ai sous les yeux ? L'article de M. Hoang développait cette belle thèse que toutes les philosophies occidentales, d'Aristote à Karl Marx, sont contenues dans Confucius et que l'avenir de la Chine et du monde ont pour œuf la parole de leur vieux sage. Dernier argument du nationalisme officiel chinois pour refuser de rendre à César ce que peut-être, au fait, il ne lui doit pas. Cependant, le milieu sinologique accueille ce travail avec intérêt.
Retour en arrière et en Chine
Suite à sa soutenance de thèse, Hoang reçoit des offres du Maire de Lyon, Édouard Hérriot – alors Président du Conseil –, mais il préfère rentrer en Chine. Il y est d’abord employé au Kin-han, la ligne construite par un consortium franco-belge, nationalisée en 1909.
Mais dès l’été 1926 il retourne à ses amours littéraires en devenant professeur à l’École normale de jeunes filles de Peiping (ndr. Nom de Pékin lorsque le KMT transfère la capitale à Nankin entre 1928 et 1949.), où il enseigne la littérature française. Il devient également précepteur chez le chef de la Marine de guerre, Gan Lian’ao 甘联敖. Il épouse bientôt sa fille, Gan Yin 甘贤 (ndr. Son deuxième mariage, sa première femme Chen Qihua陈畹华 épousée en 1919 étant décédée 3 ans avant son retour de France.)
En mars 1927, son ami Ding Chaowu 丁超五, directeur général du Département de la construction de la province du Fujian, l’invite à revenir au pays pour prendre un poste de chef de section. Au cours de cette période il collabore avec Chen Yan à la rédaction des Annales du Fujian 《福建通志》.
En octobre 1928, son ami Ding étant nommé Président de la Cour criminelle spéciale du Gouvernement central à Nankin, Hoang le suit comme secrétaire en chef de la Cour, mais deux mois plus tard il est affecté au Ministère des transports pour établir les règlements concernant la circulation.
En avril 1930, il est nommé chef du département social de la Municipalité de Nankin.
En novembre 1932 il est rappelé au Ministère des communications en tant que Secrétaire général. Il est envoyé en Egypte pour représenter la Chine au congrès de l’Union postale mondiale qui s’y tient à l’hiver 1933. Il en profite pour étudier la société égyptienne, étude dont il tirera un livre publié en 1940 aux Presses Commerciales de Shanghai.
Puis il continue son voyage par un long périple de plus d’un an qui le mène en Angleterre, en France, en Italie, en Suède, en Pologne, en Union soviétique, au Canada, aux États-Unis, au Mexique, au Brésil, en Australie et au Japon (ndr. Le Japon a déjà commencé sa politique d’agression en s’emparant de la Mandchourie en 1931 et en attaquant Shanghai en janvier 1932), officiellement pour y inspecter leurs services postaux.
La guerre de résistance
Après l’agression japonaise du 7 juillet 1937, Hoang suit le gouvernement qui se replie à Chongqing. En octobre 1938, le ministre des transports Yu Zhengpeng étant nommé Ministre des Services de l’arrière, Hoang en est le Secrétaire général. En 1940, Hoang est chargé pour le Ministère de la compilation des informations en provenance de l’étranger. Puis il est nommé Secrétaire du Comité en charge de la communication avec la Birmanie (ndr. La route construite par les britanniques reliant le nord de la Birmanie et le Yunnan sert de ligne d’approvisionnement pour le gouvernement nationaliste).
Pendant les 6 ans qu’il passe à Chongqing, il fréquente de nombreux intellectuels et artistes tel Zhang Shizhen, Li Shizeng, Zhang Daqian, Ma Zigu, Xu Beihong.
Il demande à retourner dans sa ville ancestrale de Yong’an, ce qui lui est accordé en juin 1942. Il est alors en charge de l’approvisionnement des céréales et du sel dans la province du Fujian. Pendant cette période il conçoit et fait construire le pont des hirondelles 翔燕大桥, fonde une école secondaire et institue les « bourses de Mme Hoang », et crée l’Association de secours social du comté de Yong’an.
En décembre 1944, alors que les troupes japonaises occupent encore Fuzhou, il est nommé directeur du comité préparatoire de la Municipalité de Fuzhou et Maire du comté de Linsen, dans la banlieue, afin de préparer la reprise de la ville.
Le 15 mai 1945, à peine les japonais ont-ils rembarqué que Hoang accompagne les premières unités nationalistes qui reprennent la ville. Il est bientôt nommé Maire de Fuzhou et se consacre à la remise en route du système éducatif, réparant les bâtiments, payant les professeurs et rouvrant les écoles.
Apprenant qu’un certain Cao, directeur d’école, pratique la corruption, il le démet après qu’une enquête eut confirmé les faits. Ce dernier se plaint aussitôt à son frère aîné, qui n’est autre que le chef provincial du Parti. Celui-ci assisté par le chef de la ligue de la jeunesse et d’autres cadres importants du KMT attaque Hoang, mettant en doute sa compétence. Aussi, Hoang démissionne t-il en juillet 1946.
En avril 1947, il rejoint le Ministère de l’éducation en tant qu’inspecteur et conseiller. Pendant l’été, le KMT le nomme candidat pour sa ville de Yong’an et il est élu à l’Assemblée nationale par 58 000 voix, soit plus de la moitié des électeurs.
Au printemps 1949, les troupes communistes s’approchant de Nankin, le gouvernement se replie sur Canton. Le Ministère de l’éducation a établi un bureau de repli à Fuzhou, le Ministre demande à Hoang de l’y rejoindre et Hoang retourne au Fujian.
En juin, le Ministre, Zhu Jiaxuan, se rend à Fuzhou et offre à Hoang de devenir son second à Canton. Hoang refuse prétextant le grand âge de sa mère qu’il ne pourrait laisser seule. En juillet, le nouveau Ministre, Hang Liwu, lui envoie trois télégrammes puis une lettre personnelle, le priant de s’enfuir avec le gouvernement et lui promet le poste de Maire de Taipei et de Vice-ministre de l’éducation.
Hoang Tsen-yué déclara alors à son vieil ami le Professeur Qian Luzhou 钱履周教: « La corruption du gouvernement du KMT est telle qu’il a perdu le cœur des gens. Il n’y a pas de future dans la fuite avec eux. » Ils décidèrent de rester à Fuzhou.
La nouvelle Chine
À partir d’août 1949, il enseigne au Conservatoire nationale de musique de Fuzhou et Directeur du Bureau des affaires académiques, où il donne des conférences sur l'histoire culturelle chinoise.
En octobre 1950 il est muté à l’École Normale du Fujian comme professeur de géométrie au sein du département de mathématiques. En 1951, il est transféré à la faculté de lettre 中文系 comme directeur du Département de littérature étrangère où il enseigne.
En janvier 1957, Hoang rejoint la Ligue Démocratique de Chine, un des 8 partis satellites du PCC. En 1962 il est nommé membre du gouvernement municipal de Fuzhou et membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois.
Mais en 1966, marginalisé après avoir plongé la Chine dans la famine, Mao, s’appuyant sur l’armée contrôlée par le Maréchal Lin Piao, lance les gardes rouges à l’assaut de toutes les élites, y compris celles de la révolution.
Le respect que portait le peuple au couple Hoang et sa distinction naturelle en firent une cible naturelle des gardes rouges. Ils l’accusent de 5 chefs dont celui d’avoir étudier à l’étranger.
Les gardes rouges de l’Institut municipal de Fuzhou 福市院 où il a enseigné s’emparent de lui. Ils le traînent tout en le rouant de coups vers une mare qui sert de latrines. Ils le jettent dans la fosse puante tout en l’insultant ; certains s’emparent de bambous pour l’empêcher de se rapprocher du bord et continuer à le battre ; épuisé, il finit par se noyer dans la merde à la grande joie de l’avant-garde de la révolution culturelle maoïste.
En 1973, le Président Pompidou visitant la Chine s’enquiert de cet ancien étudiant, Docteur ès Lettres de l’Université de Lyon, auprès du Premier ministre Zhou Enlai. À l’annonce de son décès il exprime ses sincères regrets.
Le 21 janvier 1979, alors que Deng Xiaoping remet la Chine en ordre de marche, l’Université normale du Fujian tient une réunion pour réhabiliter le camarade Hoang Tsen-yué, et le Vice-chancelier de prononcer un éloge en langue de bois comme il se doit.
Ainsi mourut un vrai patriote qui voulut servir son pays, refusant l’offre d’Édouard Hérriot de rester en France en 1925 et celle du KMT de devenir le Maire de Taipei en 1949.
Philippe FOURNERAUT
Ingénieur des Arts et Manufactures, 1988
Membre de Centrale Histoire
Ancien Président du
Groupement des Centraliens de Chine
Résident en Chine depuis 2013
Cet article a été écrit pour publication dans le numéro de juin/juillet 2018 de la lettre d'information trimestrielle du GCC, le GRAND CANARD CÉLESTE.
Le GCC, ou Groupement des Centraliens de Chine, regroupe les diplômés des écoles centrales et de Supélec, résidant ou ayant résidé en Chine ou simplement intéressés par ce pays. L'auteur tient une chronique historique dans cette lettre d'info. Les numéros déjà parus sont consultables sur le site du GCC: www.centraliens-chine.org/publications/le-canard-celeste/
Sources principales Consultées en mars 2018:
http://wxy.fjnu.edu.cn/53/9a/c7506a152474/page.htm
http://blog.sina.com.cn/s/blog_a5c592240102wuoh.html
http://blog.sina.com.cn/s/blog_485070310100coxs.html
Autres sources non exploitées sur la poésie:
http://www.chinanews.com/cul/2011/10-19/3400082.shtml
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