JO Paris 2024 : un doctorant de l’ECL et du laboratoire LIRIS CNRS aux côtés de l’Équipe de France de Tennis de Table
Aymeric Erades est doctorant à l’Ecole Centrale de Lyon et au laboratoire LIRIS CNRS. Vous ne l’avez sans doute pas vu aux JO de Paris cet été, et pourtant, il était là, en coulisses, aux côtés des frères Lebrun et de l’ensemble de l’Equipe de France de Tennis de Table. Son rôle consistait, à l’aide des outils d'analyse vidéo issus de ses travaux de Recherche, à fournir les données clés qui allaient peut-être faire basculer l’issue des rencontres à venir. Une expérience olympique qu'il nous raconte de l'intérieur.
Technica : Bonjour Aymeric. Peux-tu nous expliquer tout d'abord en quoi consistent tes travaux de recherche ?
Mon projet s’inscrit dans le cadre du programme Sciences 2024, un réseau de Grandes Écoles au service des fédérations sportives. Je suis financé par une bourse doctorale de l’École Centrale de Lyon, encadré par Romain Vuillemot (enseignant chercheur à l’ECL) et membre du département Math-Info et laboratoire LIRIS. Mon travail de recherche consiste à améliorer la performance des pongistes français en compétition. Plusieurs axes de recherche existent pour cela, mais mon travail est uniquement orienté sur l’analyse vidéo des matchs en compétition. L’idée est de pouvoir collecter automatiquement des données propres au tennis de table (comme les rebonds de la balle, les différents coups) à partir de vidéos de matchs. Ce contenu permet de réaliser des analyses et des représentations visuelles poussées des adversaires des sportifs français.
Concernant les analyses réalisées, il existe différents niveaux de complexité. Cela va de statistiques assez simples, comme les fautes commises en fonction des coups joués, ce qui permet de se faire une idée de la façon de jouer de chaque adversaires, jusqu’à des données plus complexes caractérisant les schémas de jeu (enchaînements de coups) qui permettent d’aller plus loin dans la compréhension des points forts/faibles des joueurs.
Cette analyse des schémas de jeu aide les entraîneurs à mettre en place une stratégie avant chaque match en répondant à la question : « comment mon joueur doit jouer pour maximiser ses chances de gagner ».
Technica : Présente-nous les outils d'analyse vidéo que tu as développés et les bénéfices qu’ils ont apporté à l’Équipe de France de Tennis de table ?
Nous avons développé différents outils d’analyse : des outils de collecte de données d’un côté et des outils d’analyse de l’autre.
Ces outils servent à fournir des données très rapidement aux coaches et analystes de la FFTT. Plus largement, ces travaux participent au travail de recherche d’analyse de données dans le domaines du sport de haut niveau.
Concernant la collecte des données, un premier outil permet le résumé de vidéos et d’en extraire des statistiques sur différents aspects d’un match, ou d’un joueur en particulier. Cet outil a permis d’obtenir rapidement des données (à partir de compilations vidéos) des adversaires des pongistes tricolores sur plusieurs matchs tout au long des JO. Le deuxième outil développé permet des annotations semi-automatiques dans le but de collecter un maximum d’événements au cours des matchs, comme par exemple les types de coups joués, les positions de rebonds de frappes etc. Si cet outil permet d’aller beaucoup plus loin dans la précision des données, il s’avère également beaucoup plus long à utiliser. De ce fait, nous l’appliquons essentiellement hors compétition, dans le cadre des travaux de recherche que nous menons.
D’autres outils avancés d’analyse de ces données collectées reposant sur la visualisation ont également été développés. Leur rôle est de permettre une visualisation simple et rapide des données complexes qui ont pu être collectées. Ces outils permettent d’aller plus loin dans les analyses, notamment des schémas de jeu afin de faire ressortir rapidement ceux qui fonctionnent le mieux. Si certains outils ont été utilisés pendant les JO d’autres seront déployés nous l’espérons par la FFTT dans les prochains mois ou années à venir.
Technica : Comment fonctionnait ta collaboration avec les athlètes et leurs staffs ?
Les demandes proviennent principalement des entraîneurs, ce sont eux qui élaborent la stratégie avant un match et qui conseillent les joueurs. Pendant les Jeux Olympiques, nous n’étions pas seuls sur l’analyse vidéo, la FFTT avait recruté deux vidéos analystes (un pour l’équipe de France masculine et une pour l’équipe de France féminine). Les interactions étaient principalement les suivantes :
- Entraîneurs et joueurs
- Entraîneurs et vidéos analystes
- Vidéos analystes et moi
Cela permettait d’avoir un référent par domaine. J’étais pour ma part focalisé sur la dimension scientifique et la recherche, les vidéos analystes sur l’aspect analyse vidéo et les entraîneurs sur l’aspect pongistique avec les joueurs. Mais tout ce travail a été très interactif, notamment pendant les réunions avec les joueurs, tout le monde pouvait apporter des éléments ou faire des demandes sur les points qu’il jugeait importants.
Aymeric et Félix Brun double médaillé de bronze en tennis de table aux JO Paris 2024
Technica : Quelles étaient leurs principales demandes ?
Dans un premier temps, l’objectif était de fournir des données sur les adversaires pour avoir une compréhension de leurs points forts/faibles (souvent ce sont les mêmes questions qui ressortent, les fautes en coup droit/revers, les types de services…). L’idée était également d’essayer d’identifier des schémas de jeu gagnants/perdants extraits de l’analyse de précédentes rencontres des futurs adversaires. En résumé, tous les éléments susceptibles d’aider les joueurs français étaient les bienvenus, même parfois des informations qui ne faisaient pas l’objet de demandes spécifiques de la part du staff, mais qui ressortaient lors de nos analyses. Par exemple, « est-ce qu’après un service gagnant, un adversaire a l’habitude de retenter le même service » ?, ou « est-ce que lorsqu’il sert long, son geste est différent ? »… Ce sont ce genre de détails qui ont pu faire des différences lors des rencontres.
Technica : Quels ont été les défis les plus complexes à relever pendant la compétition ?
Sans hésiter de tenir le rythme sur l’ensemble de la compétition, c’est-à-dire presque 2 semaines, avec chaque jour des analyses à fournir aux joueurs et à leur coach pour préparer les matchs à venir. Tout s’est fait en flux tendu, avec zero marge d’erreur possible. La fatigue ajoutée au stress et aux émotions des résultats ont créé un contexte aussi stimulant qu’exigeant.
Technica : Tu n'étais évidemment pas seul à participer à cette incroyable aventure. Parle-nous des personnes et des structures qui t'ont accompagné sur ces JO?
Tout au long de la compétition, deux vidéos analystes étaient présents, Laurent Cova et Laura Pfefer, ainsi que toute une équipe au sein de l’Ecole Centrale de Lyon qui a bossé pendant la toute la durée des épreuves. Je pense notamment à 3 stagiaires, Lou Peuch et Thomas Papon (étudiants en 2A à l’ECL) et à Guillaume Boitard (étudiant en BUT à Grenoble), qui ont accepté de continuer à aider l’Équipe de France après la fin de leur stage à l’ECL.
Je tiens surtout à rappeler que cette aventure s’inscrit dans une longue démarche qui a commencé il y a plusieurs années au sein de l’École Centrale de Lyon, notamment autour de Romain Vuillemot qui a développé de nombreux projets de recherche avec la Direction technique Nationale du Tennis de Table. Mon travail et l'expérience vécue cet été aux JO s'inscrit dans cette longue collaboration entre la Recherche et le sport de haut-niveau.
Technica : Comment as-tu vécu de l'intérieur le parcours des joueurs et joueuses de l'EDF de tennis de table ?
Le fait d’être au quotidien avec les joueurs, leur famille et les entraîneurs, a rendu l’expérience plus intense. Des liens forts se sont tissés, et même si le tennis de table est un sport individuel, j’ai vraiment eu la sensation de participer à une aventure collective. Les défaites ont été dures, on les a vécues ensemble, mais les victoires ont été merveilleuses.
Technica : Les JO représentent-ils l'aboutissement de tes travaux de recherche ?
Plus qu’un aboutissement, je parlerais plutôt d’un accomplissement. Dans la recherche, tout ce que l’on fait peut prendre du temps avant d’être reconnu ou utilisé dans des cas concrets. J’ai eu la chance que mon travail puisse avoir une réelle application lors d’un événement majeur, au cours duquel j’ai pu moi-même être acteur. C’est un réel accomplissement. Surtout, parler d’aboutissement signifierait la fin de quelque chose alors que j’ai très envie d’aller plus loin. Beaucoup de choses restent à faire notamment en termes d’automatisation de certaines actions, ou de développement de nouvelles pistes d’analyses. Il me reste encore 1 an de thèse, avec différentes publications prévues, tout en continuant à collaborer en parallèle avec l’équipe de France de tennis de table qui se prépare pour d’autres grands événements comme les Championnats du Monde et d’Europe. On espère que l’on sera toujours à leur côté, et que d’autres doctorants prendront le relais après moi, avec pourquoi pas les Jeux Olympiques de Los Angeles en 2028 en ligne de mire.
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