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04 mai 2020

Loi PACTE et brevets français : instauration d’une procédure d’opposition

Outre un premier volet sur une réforme du certificat d’utilité, la loi PACTE a également prévu la création d’une procédure d’opposition aux brevets français, ouvrant la possibilité aux tiers de contester la brevetabilité d’un brevet français après délivrance par l’Institut National de la Propriété industrielle (INPI).


La loi PACTE et son cortège de mesures sur les brevets d’invention

 

Cette procédure d’opposition a été instaurée par une Ordonnance du 12 février 2020, elle-même complétée par la publication le 8 mars 2020 du Décret n° 2020-225 du 6 mars 2020. Elle permet ainsi de former opposition à tout brevet français dont la mention de délivrance est publiée à compter du 1er avril 2020.

 

Incidemment, cette procédure d’opposition n’est pas applicable aux certificats d’utilité, qui prouvent ainsi leur utilité pour obtenir une protection rapide en France et un droit dissuasif vis-à-vis des concurrents, dont la validité ne peut être remise en cause que par un Tribunal français.

 

D’ailleurs, ce sont les voies d’action pour annuler ou restreindre la portée d’un brevet qui se trouvent ainsi accrues grâce à l’instauration d’une procédure d’opposition en France pour toute personne qui souhaite pouvoir se garantir la liberté d’exploiter une technologie malgré l’existence d’un ou plusieurs brevets délivrés sur le territoire français.

 

 

Les possibilités d’annuler ou révoquer en tout ou partie un brevet en France

 

Rappelons tout d’abord que la protection par brevet sur le territoire français peut être obtenue par deux voies : l’obtention d’un brevet national délivré par l’INPI, appelé brevet français ; et l’obtention d’un brevet européen délivré par l’Office Européen des Brevets (OEB) et validé après délivrance en France, couramment appelé brevet euro-français.

 

Ces titres de brevet coexistent sur le territoire français, avec une prédominance du brevet euro-français qui, pour faire simple, remplace un brevet français après délivrance lorsque ces deux titres couvrent la même invention.

 

A ce jour, un tiers gêné par un brevet euro-français peut former opposition devant l’OEB pour obtenir la révocation d’un brevet européen délivré (avec effet dans tous les pays dans lesquels ce brevet européen a été validé), ou au moins une limitation de sa portée.

Cette procédure d’opposition devant une Division d’opposition de l’OEB est bien rodée, et comprend généralement des échanges fournis d’arguments écrits, puis oraux, dans un cadre de discussion toutefois bien délimité : motifs de révocation du brevet européen et documents antérieurs opposés circonscrits lors du dépôt de l’opposition, possibilité pour le titulaire de modifier les revendications de son brevet selon des requêtes ordonnées et déposées dans des délais fixés.

 

Cette procédure d’opposition devant l’OEB est relativement rapide, une durée d’environ deux ans étant à prévoir aujourd’hui pour l’obtention de la décision de la Division d’opposition.

 

En revanche, les brevets français ne pouvaient jusqu’à présent être attaqués en nullité que devant un tribunal français, en introduisant une action contentieuse.

La validité d’un titre français fait alors l’objet d’échanges d’écritures entre les parties, puis d’une plaidoirie parfois plus factuelle que technique du fait de la particularité du système judiciaire français : absence d’experts techniques au côté des juges français, absence de débats oraux entre les parties, durée restreinte des plaidoiries.

 

Elle présente toutefois l’avantage de permettre au demandeur à la nullité de compléter à tout moment les documents antérieurs et motifs de nullité soulevés, alors que les possibilités de modifier son brevet par le titulaire sont restreintes ou compliquées à mettre en œuvre (par voie de limitation devant l’INPI par exemple).

 

Toutefois, une telle action en nullité d’un brevet français nécessite de démontrer au Tribunal l’intérêt à agir du demandeur à la nullité. En outre, son caractère contentieux peut dissuader une société qui redoute de déclencher ainsi les hostilités vis-à-vis d’un concurrent, sachant qu’une telle action en nullité est souvent suivie en réponse d’une assignation en contrefaçon de brevet par le titulaire du brevet.

 

La procédure d’opposition instaurée par la loi PACTE à l’encontre des brevets français offre ainsi une nouvelle voie aux tiers qui souhaitent s’opposer à la délivrance d’un brevet français qui pourrait gêner l’exploitation de leurs activités.

 

 

La procédure d’opposition française en pratique

 

Il est ainsi possible depuis le 1er avril 2020 de former opposition aux brevets français délivrés par l’INPI à compter de cette date. Toute personne ou société, sans avoir à démontrer un intérêt à agir, peut former opposition devant l’INPI.

 

Le délai pour introduire une telle opposition est de neuf mois à compter de la date de délivrance du brevet français en cause.

Il s’agit alors de déposer par écrit un mémoire soulevant les motifs qui devraient s’opposer à la délivrance du brevet : ces motifs sont principalement l’absence de nouveauté ou d’activité inventive de l’invention revendiquée, au vu notamment de documents antérieurs que peut citer l’opposant et qui n’auraient pas été pris en compte par l’INPI au moment de la délivrance du brevet. D’autres motifs, tels que l’insuffisance de l’exposé de l’invention dans la description, ou une protection obtenue qui s’étend au-delà du contenu de la demande de brevet telle que déposée, peuvent également être invoqués.

 

Ce mémoire d’opposition doit être le plus complet possible car il ne peut pas être complété par la suite, tant sur les motifs invoqués que sur les documents antérieurs cités.

 

Cette procédure d’opposition offre la possibilité d’échanges écrits entre le titulaire du brevet et l’opposant, l’INPI formulant également un avis sur les motifs d’opposition soulevés. Le titulaire peut également modifier son brevet en limitant la portée de ses revendications.

 

Cette procédure peut se clôturer éventuellement par une procédure orale entre les parties, l’INPI rendant alors une décision sur le brevet (révocation totale ou partielle du brevet, maintien du brevet limité, rejet de l’opposition avec maintien du brevet tel que délivré) à l’issue de cette procédure écrite, puis orale.

 

L’INPI promet à ce jour une procédure rapide, avec une décision dans un délai de quinze mois environ à compter de l’expiration du délai de neuf mois pour former opposition. Cette décision de l’INPI peut toutefois faire l’objet d’un appel devant la Cour d’Appel de Paris.

 

 

 

La procédure d’opposition versus la procédure de nullité devant un tribunal

 

Cette procédure d’opposition va donc permettre d’obtenir la révocation ou la limitation d’un brevet français dans un cadre administratif devant l’INPI, où probablement, les arguments techniques pourront être mis en avant d’une manière plus efficace que dans le cadre d’une action contentieuse devant le Tribunal.

 

Elle présente l’intérêt d’une action a priori plus rapide, sans avoir à prouver à un intérêt à agir. Un tiers peut ainsi former opposition pour le compte d’un concurrent qui ne souhaite pas se dévoiler vis-à-vis du titulaire du brevet susceptible de le gêner.

 

La taxe due pour former opposition (600€), la rapidité de son traitement telle qu’annoncée par l’INPI, et le cantonnement des échanges écrits et oraux, devraient également permettre de maintenir les coûts de traitement d’une telle opposition (étude et recherche des documents de l’art antérieur, frais de conseils mandatés pour la représentation devant l’INPI) à un niveau raisonnable.

 

Elle présente toutefois une contrainte non négligeable temporelle, nécessitant de former opposition avant l’expiration d’un délai de 9 mois après la délivrance du brevet français. A cet égard, elle ne s’applique pas bien sûr aux brevets euro-français qui doivent faire l’objet d’une opposition devant l’OEB.

 

 

La procédure d’opposition devant l’INPI à l’encontre des brevets français peut ainsi constituer une alternative de choix pour les sociétés qui souhaitent éliminer ou limiter les droits de brevets de leurs concurrents, entravant leur exploitation.

 

L’identification des brevets français gênants doit toutefois être faite au plus tôt, le délai de neuf mois pour former opposition étant non prolongeable et nécessitant une préparation d’un mémoire d’opposition, notamment pour identifier des documents pertinents antérieurs.

 

Une surveillance de la publication des demandes de brevet français et de leur délivrance dans les domaines technologiques d’intérêt devrait ainsi être mise en place : cela est d’autant plus vrai actuellement que les brevets délivrés par l’INPI n’ont fait l’objet que d’un examen de la nouveauté avant délivrance (le critère d’activité inventive sera pris en compte par l’INPI uniquement pour l’examen des demandes de brevet français déposées après le 22 mai 2020, j’aurai l’occasion d’y revenir dans cette chronique). La contestation du caractère inventif de l’invention objet du brevet français délivré pourra ainsi être soulevée probablement avec succès par le dépôt d’une opposition devant l’INPI dans les années qui viennent.

 

La possibilité de former opposition aux brevets français délivrés devrait ainsi permettre aux entreprises d’élargir leur champ d’exploitation en France par une procédure que l’INPI nous promet rapide et efficace. A tester !

 

Auteur

Conseil en Propriété Industrielle et Mandataire agréée près l’Office Européen des Brevets, Hélène STANKOFF est associée du Cabinet SANTARELLI à Paris où elle conseille les entreprises et start-ups en matière de brevets et accompagne les investisseurs par la conduite d’audits PI et Due Diligence. Voir les 7 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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