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15 avril 2024

Promotion des études d’ingénierie dans le Rif marocain avec Anis Jaafary (ECL2022)

Égalité des chances, mixité et diversité face à l’accès aux études scientifiques… pour devenir réalité, l’inclusion sociale en matière de formation passe aussi par des initiatives individuelles comme celle entreprise par Anis Jaafary (ECL2022) en février dernier dans le Rif marocain. L’occasion pour ce jeune Centralien d’aller à la rencontre des élèves d’un collège-lycée et d’un internat de filles pour leur parler des métiers d’ingénieur, des différentes formations scientifiques existantes et des opportunités à saisir pour les femmes au-delà des clichés et des freins réels ou supposés. Son ambition ? Élargir l’horizon des possibles d'étudiants issus de milieux moins favorisés, dans l’espoir, pourquoi pas, de susciter des vocations.


Bonjour Anis. Comment est né ce projet dans le Rif marocain et quels étaient tes objectifs ?

Bonjour à tous. Durant mon année de terminale, j'ai fait la rencontre d'un polytechnicien qui effectuait son service civil dans mon lycée. Il m'a fait découvrir l'univers des classes préparatoires ainsi que celui des grandes écoles. J'ai été fasciné par son parcours, lui-même, dont les parents n'avaient pas fait d'études, s'est retrouvé intégré l'une des écoles d'ingénieur françaises parmi les plus prestigieuses. Suite à nos nombreuses discussions, je me suis dirigé vers une classe préparatoire. Cette rencontre a été déterminante dans mon orientation. Elle m’a, en quelque sorte, ouvert les portes des CPGE (Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles) et de Centrale Lyon.

 

Depuis mon intégration, je ne cesse de vanter les mérites du modèle des CPGE qui, malgré ses défauts, demeure un moyen privilégié vers l'excellence. Elles ont été pour moi un moyen d'émancipation, et je suis convaincu qu'elles peuvent l'être pour beaucoup d'autres, à condition de les faire connaitre.

 

Aussi, lorsque j’ai décidé de visiter cette région encore très enclavée du Maroc, j'y ai vu l'opportunité d'apporter une contribution valorisante aux étudiants locaux en les informant sur les métiers d’ingénieur et de déconstruire les clichés sur la place des femmes dans ce milieu. J’ai pu ainsi évoquer les différentes façons d’intégrer une école d’ingénieur (CPGE, prépa intégrée, AST...) et essayer de les encourager à s’engager dans cette voie. J’en ai profité pour présenter des établissements d’ingénierie marocains tels que l’ENSAM, l’ENSA, IAV Hassan II, ainsi que des prépas d’excellence comme Lydex, qui, à ma grande surprise, étaient totalement méconnus des étudiants.

Entrée de l'internat pour filles

Technica : Comment s’est déroulée ta rencontre avec les élèves  sur place ?

L’hospitalité marocaine est tout sauf un mythe ! J’ai tout d'abord été accueilli par la directrice et son adjoint, qui m'ont invité à discuter plus en détail de mon initiative autour d’un vers de thé à la menthe. Ils étaient très heureux de pouvoir échanger avec moi et de constater qu'un jeune puisse s'intéresser aux problématiques académiques et sociétales de la région. Ils ont évoqué les difficultés qu'ils rencontrent, partageant leurs peines et leurs espoirs pour les étudiants.

 

Par la suite, les encadrants ont organisé une rencontre avec les étudiantes résidant à l'internat, puis dans un second temps avec l'ensemble des étudiants du lycée.

Technica : Quels étaient les messages que tu voulais faire passer aux élèves ?

Presque tout est possible lorsque l'on se donne les moyens de réussir. Le travail et la détermination sont la clé du succès et permettent, souvent, de surmonter les obstacles sociaux et matériels. Savoir que d'autres personnes l'ont fait avant nous, que la persévérance finit par payer, c'est se donner de l'espoir, s’ouvrir des portes qui semblaient jusqu'alors condamnées.

 

Il était important pour moi de leur faire découvrir le monde des classes préparatoires et des grandes écoles afin qu'ils ne passent pas à côté par ignorance. En extrapolant les dires d’Auguste Comte, je dirais qu'il faut « savoir pour prévoir, afin de pouvoir ».

Salle informatique de l'école

Technica : A quoi t’attendais-tu en allant dans ce collège-lycée ? Et as-tu eu de bonnes ou de mauvaises surprises ?

J'ai été agréablement surpris par les conditions matérielles du lycée. Environ dix-huit minibus scolaires assurent quotidiennement le ramassage de centaines d'étudiants des villages isolés des alentours. Le lycée dispose de salles d'ordinateurs, d'une bibliothèque bien fournie comprenant des classiques de la littérature française tels qu'Emile Zola et Balzac, ainsi que d'un internat accueillant les filles vivant trop loin pour le transport scolaire, tandis qu'un internat pour garçons est sur le point d'ouvrir ses portes. Le cadre est tout simplement splendide, avec des jardins verdoyants et la présence d'animaux (des paons et des poules en autre).

 

Cependant, il y a un problème majeur d'orientation. Le conseiller d'orientation ne se rend sur place que deux fois par an pour quelques heures, offrant des discours jugés bien pauvres selon certains témoignages. Ce constat est alarmant compte tenu du nombre d'étudiants, dépassant le millier au sein du collège-lycée.

 

L'objectif fut également de leur montrer qu’Internet regorge de ressources utiles qu'il faut savoir exploiter dès que possible, initiative qu'encore trop peu d'étudiants prennent spontanément. A titre d'exemple, les candidatures pour Campus France étaient clôturées avant même qu'ils n'aient pris conscience de l'existence de cette plateforme.

 

Par ailleurs, les modalités d'inscription dans l'enseignement supérieur sont trop complexes et non centralisées. Chaque étudiant doit postuler, séparément, à chaque formation, à chaque école, à chaque université, ce qui complique énormément le processus et favorise les omissions.

 

Enfin, il y a un manque flagrant d'informations sur les possibilités d'orientation, ce qui peut décourager bon nombre d'étudiants et limiter leur capacité à se projeter. L'ignorance demeure le pire des maux.

Technica : Est-ce que les filières scientifiques sont valorisées dans cette région du Maroc ? As-tu senti un intérêt de la part des élèves que tu avais en face de toi ?

Les filières scientifiques sont hautement valorisées, mais elles requièrent un investissement considérable. En parcourant un livre de physique-chimie, j'ai été surpris de constater que certaines notions abordées en classes préparatoires étaient déjà enseignées au lycée. Les programmes sont globalement très denses et exigent un engagement accru dès le lycée par rapport au programme français.

 

Cependant, j’ai vu dans la langue d’enseignement des sciences, le français, un problème majeur. La langue maternelle dans la région est le rifain (une variante du dialecte amazigh), les cours sont dispensés en arabe littéral ou en darija (dialecte arabe), tandis que la langue des sciences est le français. Toutefois, les étudiants montrent un intérêt croissant pour l'anglais, qu'ils jugent plus accessible. Cette complexité linguistique fait que les études pré-bac requièrent un investissement supplémentaire de la part des étudiants marocains ruraux, par rapport à leurs homologues français.

 

À retenir que le niveau de français est généralement faible dans la région. Ainsi, lors de l'accompagnement d'un élève de collège, j'ai constaté qu'il avait du mal à comprendre les consignes des exercices et à traduire ce qui lui était demandé. Après lui avoir demandé de lire une propriété de son cours de maths, j'ai réalisé qu'il ne comprenait pas les termes utilisés. Après quelques explications sur les propriétés et les attentes de l'exercice, l'élève n'a eu aucune difficulté à répondre correctement aux différentes questions.

 

Cette barrière linguistique entrave considérablement la progression des étudiants dans les matières scientifiques. Ainsi, certains étudiants se détournent de cette voie en raison d'un niveau insuffisant en français et se dirigent vers des filières littéraires comme le Droit.

Technica : Quelles questions t’ont posées les élèves ? Lesquelles t’ont le plus surpris ?

J'ai été confronté à de nombreuses questions concernant mon parcours, les classes préparatoires, les matières enseignées et la difficulté des cours. Ce qui m'a réellement surpris, ce sont les préjugés que les filles de l'internat avaient sur le métier d'ingénieur. En commençant mon exposé par une question : "Quelles sont les spécialisations de l'ingénieur ?", les réponses se limitaient essentiellement au génie civil, un secteur jugé répulsif par ces dernières en raison de son association avec le béton, les chantiers et une domination masculine.

Technica : Quels sont selon toi les principaux obstacles que devra affronter un.e élève qui souhaiterait s’orienter vers des études scientifiques ?

Je dirais principalement qu'il y a un manque crucial d'information. Pour envisager une CPGE ou une école d'ingénieur, il est essentiel de savoir ce que c'est, que ce soit en France ou de l'autre côté de la Méditerranée.

 

L'accès aux filières dites élitistes est également souvent réservé aux classes les plus privilégiées. Venir d'une famille populaire implique souvent un accès plus limité à la culture, à la langue française ou anglaise et aux sciences. Je peux d'autant plus facilement parler de ce choc des classes que je l'ai vécu à mon arrivée au lycée Saint-Louis à Paris. Les instances de socialisation existantes dans certaines familles permettent de faciliter l'accès et la réussite des enfants aux formations supérieures de premier plan.

 

Par ailleurs, les barrières mentales mais aussi de genre sont des éléments à prendre en compte pour certains profils. "Moi, fils d'ouvrier, devenir médecin ? Non, impossible ! Devenir ingénieur ? Je suis une fille, voyons !" Ce sont des discours que j'ai pu entendre durant mon voyage au Maroc mais également en France.

 

Je suis convaincu que le simple fait de partager mon parcours, sans nier les difficultés rencontrées, c'est témoigner que c'est possible.

Toute l'équipe du Forum Ingénieur Transition Ecologique réunie

Technica : Parlons de toi. Tu présidais cette année le Forum Ingénieur Transition Ecologique (FITE), qui a permis la rencontre entre les élèves-ingénieurs de Centrale Lyon et de l'ENISE avec les entreprises engagées dans la transition écologique.  Que retiens-tu de cet événement?

Je ressors enrichi de cette expérience. Jongler entre les différentes parties de l'organisation - conférence, entreprises, coordination des associations partenaires, les articuler et former un ensemble cohérent a représenté un véritable défi. Cela m'a permis de considérablement gagner en expérience.

 

J'ai ainsi pu développer mes compétences relationnelles et grandir sur tous les plans, en prenant énormément de plaisir à ajouter des touches de fantaisie à l'événement en lui donnant une dimension singulière, avec notamment l'invitation du club music de l'École.

 

Nous étions une petite équipe, ce qui a intensifié le travail à fournir. Je ne peux être que fier de ce que nous avons accompli. En somme, il y a eu un Anis avant le FITE et un Anis après le FITE.

Technica : Tu es également responsable événements de l’ECLYMUN. En quoi consiste cette association et quel rôle y joues-tu?

Eclymun est une association pionnière dans la promotion de la géopolitique en école d'ingénieur. Inspirée par notre initiative, d'autres écoles, à l'image de CentraleSupélec, ont emboîté le pas. L'association se développe avec son intégration à la FDNU, un organisme visant à promouvoir la diplomatie au niveau national.

À travers des concours d'éloquence et des simulations des Nations Unies (MUN), nous offrons aux étudiants une plateforme pour développer leurs compétences en communication et en leadership. Ces événements rassemblent de nombreux étudiants du groupe des écoles Centrale, des écoles de commerce, l'EM, l'EDHEC pour ne citer qu’elles ainsi que d'autres formations universitaires telles que Sciences Po Lyon et des facultés.

Notre implication nous a également ouvert les portes de grands événements, notamment le prestigieux Harvard World Model United Nations, un rendez-vous majeur de la diplomatie étudiante internationale. La délégation de Centrale Lyon était l'une des rares délégations issues du monde scientifique. Cela ne nous a pas empêchés de défendre avec ardeur nos idées. Nous avons été confortés dans l'idée selon laquelle les ingénieurs ont un rôle majeur à jouer dans la diplomatie internationale sur des enjeux hautement techniques, à l'image des défis environnementaux.

Ma contribution à l'association est multiple, je m'occupe principalement des partenariats, de l'organisation de nouveaux événements et de leurs logistiques.

Technica : Sur ton profil linkedin, tu indiques souhaiter devenir un « ingénieur engagé et responsable » C’est quoi pour toi concrètement un ingénieur engagé ? A l’inverse, quels genres de postes aurais-tu du mal à accepter car contraires à tes engagements ?

Être engagé, c'est agir en adéquation avec ses valeurs et les défendre. L'un des rôles premiers de l'ingénieur était d'optimiser les processus industriels, développer de nouvelles techniques de production, construire des infrastructures... afin de réduire les coûts, faciliter le transport et donner accès aux biens de consommation, améliorant ainsi le confort de vie. Il s’agissait des défis du XIXe et une partie du XXe siècle.

 

L’emballement de ce système industrio-économique a fait émerger de nouveaux défis. Et le rôle de l’ingénieur moderne, je le pense, est de permettre d’assurer une transition tout en douceur vers un monde plus respectueux de la biodiversité, plus durable, afin d’éviter un bouleversement, catastrophique, de nos sociétés. La complexité technique des défis auxquels nous sommes confrontés fait de lui un élément central dans cette lutte.

 

Je n'ai pas de liste à donner dans le sens où, si l'on peut avoir un impact positif sans compromettre nos valeurs, je ne vois pas de raison d'être réticent à rejoindre telle ou telle entreprise. Un élément décisif réside dans l'estimation de l'impact réel de notre contribution. Si le projet qui m'est confié est de près ou de loin écocidaire, j'aurais du mal à accepter d'y contribuer. C'est un raisonnement qui anime de plus en plus d’étudiants.

Technica : Dernière question. As-tu trouvé ton stage de césure que tu cherchais ?

Dans le cadre de mon projet de carrière, je recherchais un stage à fort impact. C'est au sein du think-thank de Bpifrance que je m'apprête à débuter mon premier stage de césure. En tant qu'analyste stratégique, ma mission consistera à contribuer à l'élaboration d'une étude d'envergure nationale portant sur l'adaptation des entreprises au changement climatique.

 

Je reste ouvert quant à ce que l'avenir me réserve, mais j'envisage d’enchaîner avec un second stage dans le domaine de l’énergie, de la thermique, idéalement dans un pays anglophone.

Auteur

Anis est président de FITE, le Forum Ingénieur Transition Ecologique, et étudiant en deuxième année à l'École Centrale de Lyon. Depuis septembre 2023, il dirige une équipe de 10 bénévoles qui organise des conférences, des ateliers, et des rencontres entre des acteurs de la transition écologique et des étudiants ingénieurs. Anis est également responsable événement au sein de ECLYMUN, une association qui promeut la simulation des Nations Unies auprès des jeunes au travers de l'organisation de plusieurs événements internationaux sur des thématiques liées à l'environnement, aux droits de l'homme, et à la diplomatie.

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