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06 octobre 2020

Démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim : l’analyse technique de Damien Kaczorowski (Docteur 2002)

Expert en métallurgie et corrosion chez Framatome, Damien Kaczorowski est plus habitué à assurer la sécurité et le bon fonctionnement des réacteurs nucléaires, qu’à évoquer leur démantèlement. Mais ça c’était avant que nous allions l’interroger sur la fermeture de la Centrale de Fessenheim.


Bonjour M Kaczorowski. C'est la première fois qu'une centrale nucléaire à eau pressurisée est arrêtée puis démantelée intégralement en France. Quelles différences y a t-il avec les autres familles de centrales nucléaires (REB, eau lourde etc.) ? Est-ce plus compliqué de les démanteler et si oui pour quelles raisons ?

En France les filières de réacteurs commerciaux ayant  fonctionné sont du type eau pressurisée, graphite gaz,  eau lourde  (Brennilis) et à neutron rapide refroidi au sodium (Superphénix).
La mise à l’arrêt d'un réacteur à eau pressurisé n’est pas plus compliquée, je pousserai même à dire qu’elle est peut être plus simple que ces autres filières. En effet, les réacteurs à eau pressurisée sont les plus répandus dans le monde et donc bien connus. Nous pourrons bénéficier du retour d’expérience mondial (allemand en particulier) du démantèlement. Par ailleurs, EDF exploite 58 réacteurs de cette filière et un certain nombre d’opérations lourdes, telles que le changement de générateurs de vapeur, sont bien maîtrisées. On a donc déjà une expérience du démontage et de la mise au rebut  de gros composants. Le cycle du combustible est également bien maîtrisé. On pratique déjà  en permanence l’évacuation, la destruction ou le recyclage de ces éléments hautement radioactifs. L’outil industriel est disponible. C’était moins vrai pour les réacteurs à coeur graphite ou refroidis au sodium avec le risque d’inflammation de ce dernier s’il est en contact avec l’air. Mais là encore, l’opération de démantèlement de Superphénix se déroule sans accro. Le démantèlement du réacteur à eau lourde de Brennilis, unique en son genre dans le monde, est en revanche très long, c’est vrai.

- Comment arrête t-on concrètement un réacteur nucléaire ?

Il faut bien savoir qu’un réacteur est mis à l’arrêt très régulièrement pour changer le combustible. En moyenne un réacteur est arrêté tous les 18 mois. Pour ce faire, la puissance du réacteur baisse, par insertion des grappes de commande, puis celle de la température et de la pression, enfin, on ouvre le circuit primaire en soulevant  le couvercle de la cuve où est localisé le combustible. On procède ensuite à son déchargement. Les assemblages sont transférés temporairement vers la piscine de stockage du combustible attenante au bâtiment réacteur. Pour le démantèlement et l’arrêt définitif, on procède exactement de la même manière, du moins pour les premières étapes, car ensuite on s'attèlera à la découpe des différentes tuyauteries et de la cuve, avant de passer à la décontamination des différents circuits et composants pour mise aux déchets.

- D'un point de vue sécurité, quelles sont les questions qui précèdent l'arrêt de réacteurs nucléaires REP et leur démantèlement? Quelles sont selon vous les étapes les plus délicates d'un point de vue sécurité ?

D’un point de vue réglementaire, à la suite de la publication des décrets de mise à l’arrêt définitif, EDF doit maintenant proposer un plan pour le démantèlement qui sera visé par l’ASN.
La stratégie adoptée en France pour le démantèlement repose sur les étapes suivantes :

- L’exploitant prépare le démantèlement de son installation dès la conception de celle-ci ;
- L’exploitant met à jour le plan de démantèlement de son installation et envoie le dossier de démantèlement avant l’arrêt définitif de son installation ou, au moment de l’arrêt définitif ;
- Les opérations de démantèlement se déroulent « dans un délai aussi court que possible », délai qui peut varier de quelques années à quelques décennies selon la complexité de l’installation.

Les étapes propres du démantèlement comprennent notamment le démontage des équipements, l’assainissement des locaux, la destruction éventuelle du génie civil, l’assainissement des sols, le tri, la caractérisation, le conditionnement, l’évacuation et l’élimination des déchets produits (radioactifs ou non).

Après avoir retiré le combustible, vient ensuite la vidange des circuits et leur décontamination. Une étape importante et inédite pour le coup sera la découpe et l’évacuation de la cuve.
Les risques seront ensuite ceux de chantiers classiques, tels que les chutes, les incendies et tous les risques liés à la co-activité. On peut partir évidement du postulat que le risque zéro n’existe pas, ceci est vrai dans toutes les industries en particulier sur des gros chantiers avec beaucoup de co-activité.

Si l’on revient à ce qui est propre au nucléaire, il y a toujours un risque possible de contaminations en cas de mauvais diagnostics du risque radiologique, mais cela fait partie du métier de la radioprotection de minimiser ce risque.

- Le démantèlement devrait débuter par l'évacuation du combustible hautement radioactif. Par quel procédé l'extrait-on ? Que devient-il ensuite (transport, stockage…)?

La première étape du démantèlement consiste à décharger le coeur du réacteur comme décrit précédemment. A ce moment là, 99% des éléments radioactifs seront évacués. Vient ensuite la vidange des circuits et leur décontamination. Tout se passera comme en fonctionnement normal. Le combustible est évacué vers la piscine de stockage du réacteur. Il y reste quelques années pour continuer de refroidir puis sera transporté à l’usine de la Hague pour destruction et recyclage. Les déchets ultimes seront conditionnés comme ils le sont déjà actuellement pour un stockage long. Il n’y aura rien de nouveau à part la quantité d’assemblages à traiter. En France, nous avons une grande expertise du cycle du combustible reconnue dans le monde.

- A l'été 2016, des taux trop élevés de carbone ont été trouvés dans l’acier. Cela a conduit à la mise à l'arrêt de 12 réacteurs dont 9 ont redémarré. Le cas le plus grave portait sur le réacteur numéro 2 de Fessenheim. Que s'est-il passé ? Comment le problème a t-il été réglé ? Avez-vous été sollicité ?

Je n’ai, hélas, personnellement pas contribué à cette étude car mon domaine d’expertise n’est pas exactement sur ces composants et ces alliages.  En fait, tous les réacteurs ont redémarré assez rapidement. Fessenheim 2 a redémarré un peu plus tard que les autres, en mars 2018. En l’occurrence, il a été découvert un non respect des procédures de fabrication d’un lingot destiné à la fabrication d’une partie d’un générateur de vapeur de Fessenheim 2. Le risque identifié était la non élimination de pollutions du lingot et des teneurs en carbone plus élevées qu’attendu. La conséquence était un non respect des propriétés mécaniques du composant. La démonstration de sûreté a été faite sur la base d’expertises poussées sur le composant en service, d’expérience, de calculs, et finalement validée par l’ASN. Les réacteurs étaient donc (et le sont toujours) sûrs !

- Depuis ces incidents, le sort de la Centrale était en suspens. Son arrêt et démantèlement aujourd'hui actés sont-ils justifiés selon vous d'un point de vue sécurité ?

Le réacteur n°2 de Fessenheim a été autorisé à redémarrer en 2018. Cela veut clairement dire qu’il n’y avait pas de problème de sûreté avec ce réacteur. Il faut chercher ailleurs, comme tout le monde le sait, les raisons de sa fermeture tout comme celle du réacteur n°1. 

- Le démantèlement de la centrale devrait être achevé en 2040. Cela vous semble t-il un délai raisonnable ? Quelles étapes sont les plus complexes selon vous ?

Le retour d'expérience des opérations de démantèlement effectuées en France montre qu'il n'existe pas aujourd'hui d'obstacle technique rédhibitoire au démantèlement des installations. Il s'agit cependant d'opérations de très longue haleine, qui constituent des défis en matière de gestion de projets, de maintien des compétences nécessaires et de coordination des différents travaux. 
 
La gestion de la grande quantité de déchets radioactifs (notamment ceux de très faible activité) des déchets issus du démantèlement constitue également un enjeu majeur et il importe que les exploitants mettent en place les filières d'élimination nécessaires lorsque celles-ci n'existent pas.

Les opérations de démantèlement des installations complexes étant souvent très longues, le décret prescrivant le démantèlement peut prévoir qu'un certain nombre d'étapes feront eux-mêmes l'objet, le moment venu, d'une autorisation de l'ASN sur la base de dossiers de sûreté spécifiques. Ce sont les "points d'arrêts”. 

On comprend donc qu’il y a du boulot et que l’avancement des chantiers peut conduire à demander des dérogations ou que tout n’est pas figé dans le marbre et des échanges avec l’ASN sont prévus. Ce qui peut rallonger les délais si les différentes parties tardent à se mettre d’accord. Le poids de la législation dans le nucléaire n’est pas à négliger quand on parle de planning. 

Ma casquette d’enseignant à l’Ecole Centrale de Lyon me fait souligner la question de la formation et du maintien des compétences (questions clés dans l’industrie nucléaire). Car, les travaux de démantèlement durent souvent plus d'une décennie et succèdent généralement à plusieurs décennies de fonctionnement ; les risques liés à la perte de mémoire de conception et d'exploitation et ceux liés au maintien des compétences donnent aux facteurs humains et organisationnels une importance particulière.

- La durée de vie prévisionnelle d'un réacteur nucléaire REP est estimée à 60 ans. Comment a été calculé cette « durée de vie » ? Y a t-il un risque (même théorique) à prolonger leur activité ?

La réponse est simple et fait d’ailleurs partie de mon enseignement à l’Ecole centrale de Lyon. Dans le nucléaire on ne prend pas de risque (même théorique) avec la sûreté. Les réacteurs nucléaires français ont été autorisés sans limitation de durée de fonctionnement. Toutefois, 40 ans correspondent à la durée de fonctionnement des réacteurs initialement envisagée par EDF. Ainsi, pour aller au-delà de cette durée de conception, la démonstration de sûreté doit être révisée ou complétée. Entre autres, l’exploitant doit démontrer que le vieillissement de certains matériels est maîtrisé compte-tenu de la nouvelle durée de fonctionnement envisagée, certains équipements doivent être remplacés, les éventuels écarts doivent être corrigés et des améliorations de sûreté doivent être apportées. C’est donc à ce titre que le fonctionnement d’un réacteur au-delà de 40 ans constitue une étape significative.

L'EPR est déjà conçu pour fonctionner 60 ans. Aux Etats- Unis, des centrales ont déjà obtenu des prolongations de fonctionnement jusqu’à 80 ans. Pour l’anecdote, la centrale de Fessenheim  a pour modèle la centrale nucléaire de Beaver Valley aux États-Unis qui est en service depuis 1976. La centrale de Beaver Valley a obtenu, en 2009 de la NRC, le renouvellement de sa licence d'exploitation pour une durée totale de 60 ans, soit 20 ans de plus que la licence initiale. Cherchez l’erreur.

La durée de vie des centrales a essentiellement été estimée au moment du démarrage et avec les connaissances de l’époque sur le vieillissement de la cuve du réacteur sous irradiation. Ce vieillissement se traduit par une fragilisation des aciers. La cuve est un composant qui ne peut être remplacé. L’expérience a montré que le vieillissement des cuves était moins rapide que prévu et de plus, la gestion du combustible y participe. En effet les assemblages de combustibles les plus usés sont placés en périphérie du coeur (c’est à dire ceux les plus près de la cuve).

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