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09 juin 2020

L’Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération : nouveau modèle de développement durable pour les entreprises

Après 16 ans passés dans l’industrie et 17 ans dans le numérique, Dominique Dupuis (ECL1987) s’est engagée il y a 3 ans dans une nouvelle trajectoire professionnelle au service d'une transition écologique, sociale et économique des entreprises et des territoires. Elle nous parle aujourd’hui de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération, un nouveau modèle de développement plus durable et pensé pour mettre la performance d’usage au coeur de la stratégie des entreprises.


Comment présenteriez-vous les principes de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération ?

L’économie de la fonctionnalité est bien connue aujourd’hui. Elle propose de vendre l’usage d’un bien plutôt que le bien lui-même. Ce modèle présente des avantages et notamment de favoriser la conception de biens durables, le propriétaire ayant intérêt d’en proposer l’usage le plus longtemps possible. Ce modèle a toutefois des limites. L’intensification de l’usage peut en effet réduire la durée de vie du produit et annuler les effets positifs escomptés sur les ressources matières. D’une façon générale, il ne permet pas de sortir d’une logique de volume qui lie de façon étroite la croissance du revenu et donc de PIB aux consommations de matières.

L’économie de la fonctionnalité et de la coopération, l’EFC, propose d’aller plus loin dans ce modèle pour s’intéresser à la performance d’usage du bien, ou du service, conçu aujourd’hui le plus souvent comme un quasi-bien.

Il s’agit par exemple, non seulement de proposer des vélos en libre-service mais de répondre à un besoin de mobilité. Pour cela, l’EFC propose à la fois de territorialiser la réponse qui ne pourra pas être la même à Paris centre ou en banlieue et de construire la réponse par la coopération entre différents acteurs pour assurer une performance d’usage aux bénéficiaires, qui tienne toutes les dimensions du sujet.

 

En quoi l’EFC permet-elle d’être vertueuse d’un point de vue environnemental ou social ?

Deux notions essentielles sont proposées qui permettent d’aller volontairement dans ce sens vertueux. La première concerne l’identification des externalités liées à l’activité de l’entreprise que l’EFC propose d’intégrer à sa stratégie. Ainsi, si l’industrie automobile intégrait dans sa stratégie les externalités générées comme les bouchons et la pollution, elle serait amenée à produire moins de SUV.

La deuxième notion qu’il me parait important de citer concerne les ressources immatérielles qui permettent de soutenir la performance d’usage : les compétences, la pertinence (notamment de l’offre), la santé (des personnes, de l’organisation…) et la confiance.

 

Quelles sont les entreprises qui s’intéressent à l’économie de la fonctionnalité et de la coopération ?

On peut distinguer deux grandes catégories. La première concerne des entreprises qui sont confrontées aux limites du modèle existant et qui cherchent des solutions pour relancer leur activité. C’est le cas par exemple de la société Gesnord, un centre d’appel médical. Il y a quelques années, elle voyait d’un côté ses concurrents délocaliser au Maroc pour réduire leurs coûts, et de l’autre, l’arrivée sur le marché d’un Doctolib. Il lui fallait donc se réinventer et l’EFC l’a aidée à observer son activité sous un angle nouveau afin de ne plus buter sur les mêmes limites, de se poser les bonnes questions et repenser ainsi son modèle économique.

 

La solution est venue d’une meilleure coopération avec ses clients médecins qui a permis de mieux cerner leurs contraintes et besoins, et ainsi de sortir d’une simple logique quantitative de prises de rendez-vous. Cette démarche a permis d’identifier la difficulté que rencontraient les professionnels de santé de concilier vie professionnelle et vie privée, de pouvoir partir en vacances sans s’inquiéter de leurs patients malades. Le centre d’appel a intégré ces éléments pour définir avec les médecins des modalités de travail. La relation client/fournisseur a ainsi évolué vers une coopération qui a permis de gérer différemment les flux des patients et de répondre aux enjeux des médecins.

 

Cette évolution a aussi permis de réduire la pression sur les urgences de la région des Hauts de France, réduisant ainsi le coût pour la CPAM et les mutuelles : des externalités positives qui permettent à Gesnord de solliciter ces acteurs de la santé afin de les amener à cofinancer des solutions pour améliorer l’accès au soin sur le territoire.

 

 

L’autre catégorie d’entreprises qui s’intéresse à l’économie de la fonctionnalité et de la coopération est liée à la conviction de leurs dirigeants d’inscrire leur activité dans une démarche plus sociale et durable. L’EFC permet de révéler ce que chaque activité a comme externalités positives, voire négatives et d’identifier des opportunités au travers de ses besoins, soit pour augmenter ces impacts positifs, soit réduire ou supprimer les négatifs.

 

- Quelles sont les freins qu’il faut encore lever au sein des entreprises afin qu’elles s’engagent concrètement dans une démarche EFC ?

Le premier des freins est évidemment financier. « Comment je finance ce changement d’activité ou de modèle? ». Les entreprises qui dépendent du secteur public et des appels d’offre centrés sur le prix sont particulièrement concernées par cette contrainte. Un travail avec les collectivités et les entreprises du secteur public est en cours afin de les sensibiliser à cette démarche et aux bénéfices à en tirer. Il est par exemple possible de s’appuyer sur des bénéficiaires indirects susceptibles de participer au financement de projets EFC, comme demander aux agences de l’eau des aides pour accompagner le passage au bio d’agriculteurs qui pollueront ainsi moins les nappes phréatiques. Ce qui aura pour effet de réduire les coûts de ces mêmes agences de l’eau pour les traiter.

Du côté du modèle financier, il est aussi possible de partager les économies, comme le propose l’imprimerie Flex’Ink. Gesnord évoqué plus haut, valorise les services développés par son entreprise.

 

Des financements publics sont également possibles comme l’explique Anthony Beaudier CEO de Global Vision dans cette vidéo :

 

A qui doit s’adresser un entrepreneur intéressé par l’économie de la fonctionnalité et de la coopération ?

Je vais prêcher pour ma paroisse : le mieux est de prendre contact avec le club de sa région listé sur l’institut européen de l’EFC. En Île de France, en plus des actions de communication régulièrement menées, des cessions d’une demi-journée sont organisées tous les deux mois, ouvertes à tous, qui permettent de découvrir et d’échanger sur le fonctionnement et les enjeux de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération.

 

Ensuite, pour les dirigeants d’entreprise, il existe des programmes d’accompagnement collectif pour changer de regard sur leur activité. La notion de groupe permet ici de profiter de regards croisés et de partager les difficultés et les progrès réalisés par chacun. Des dispositifs d’accompagnement individuel sont également possibles avec des consultants spécialisés.

 

Parlez-nous des «ateliers post-carbone » que vous animez

Les ateliers post carbone sont en cours de création. L’objectif est de contribuer à cet enjeu de transformation radicale de notre mode de développement socio-économique en proposant des ateliers pour s’approprier ou pour exploiter différents référentiels et méthodologies dans des projets opérationnels. Ces ateliers combinent les travaux de différents acteurs comme le cabinet Atemis (Analyse du Travail Et des Mutations dans l’Industrie et les Services) qui travaille sur l’EFC, mais aussi d’Isabelle Delannoy, auteure de « l’économie symbiotique », ou encore de Julien Dossier, expert en neutralité carbone et sa « fresque de la renaissance écologique ».

 

Les pouvoirs publics sont-ils moteur dans le développement de l’Économie de la fonctionnalité et de la coopération ?

L’ADEME est certainement l’acteur le plus impliqué dans l’EFC à ce jour au travers de diverses publications dont un panorama de l’EFC en France. L’ADEME cofinance également des programmes d’accompagnement collectif de dirigeants dans plusieurs régions. Elle finance aussi des animateurs de clubs régionaux de promotion de l’EFC. Je suis secrétaire du club francilien et nous sommes d’ailleurs actuellement en discussion avec la région et la DRIEE pour financer un animateur et des actions comme de l’accompagnement collectif de dirigeants.

 

La crise sanitaire actuelle est-elle un accélérateur de changement de modèle pour les entreprises ?

On ne peut que le souhaiter, mais il faut garder en tête que des transformations aussi radicales que celles dictées par l’économie de la fonctionnalité et de la coopération demandent du temps pour être réfléchies, puis mises en place. Les (r)évolutions ne font pas en un jour.

 

 

 

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