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10 novembre 2020

Rencontre avec Christophe Lambert (ECL10) - Digital Cargo Project Manager au sein de l’IATA

Depuis sa création en 1945, l’IATA a eu pour vocation de faciliter la collaboration entre les différents acteurs du secteur aérien afin de développer son essor. Un pari réussi mais qui se heurte aujourd’hui à l’archaïsme des procédures de suivi administratif et contractuel des transports de marchandises qui s’appuient encore aujourd’hui sur des documents papiers. Christophe Lambert (ECL2010) a été embauché il y a 1 an comme Digital Cargo Project Manager au sein de l’IATA pour accélérer la digitalisation des process. Une mission sur laquelle il revient en détail pour Technica. 


Bonjour Christophe. Tu travailles aujourd’hui  pour l’International Air Transport Association. Peux-tu nous présenter rapidement la mission de cette organisation ?
IATA est une organisation internationale qui a pour mission de développer le transport aérien, au travers de lignes directrices pensées dans le but d’améliorer la collaboration des différents acteurs du secteur. Cet objectif n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît puisque la spécificité de l’aérien tient dans la présence de nombreux monopoles nationaux qui se retrouvent en concurrence au niveau international. Chaque partie fonctionne selon ses propres drivers business, mais avec l’obligation de s’interfacer avec l’ensemble des autres acteurs du secteur. Le billet d’avion électronique est un bon exemple de standard initié par l’IATA. Si cette innovation est aujourd’hui totalement assimilée par les usagers comme par les professionnels, le e-ticket a mis de nombreuses années à être mis au point avant de devenir une obligation en 2008 pour les membres IATA (environ 80% des compagnies mondiales). Dans le domaine du Cargo, les temps de développement sont encore plus longs car les acteurs sont plus nombreux et de tailles très diverses.

Quelle est la place du digital dans les solutions préconisées par l’IATA ?
Le cargo aérien est un secteur très opérationnel mais aussi très procédurier. Il faut savoir que pour chaque avion cargo qui atterrit à l’aéroport Charles De Gaulle, il y a un coursier qui se déplace avec une sacoche remplie de documents à signer et à contrôler. Ces derniers concernent aussi bien les marchandises, les contrats de transport, les descriptifs du cargo, les droits de douane etc. Il y a autant de documents que d’acteurs dans la chaîne de valeur : compagnies aériennes, agents au sol, aéroports, agents de fret... Ce sont ainsi des tonnes de papier qui transitent chaque année au sein des aéroports et hubs logistiques. Sans parler du personnel qui doit classer et traiter manuellement tout ces documents. Les solutions digitales prennent ici logiquement tout leur sens. Elles doivent permettre d’économiser du temps, du papier, d’éviter les erreurs humaines, tout en optimisant la traçabilité des transports de marchandises.

Quelle est ta mission en tant que Digital Cargo Project Manager ?
Comme je l’expliquais, IATA a pour mission, entre autres, de définir les standards digitaux et d’accompagner les différents acteurs du secteur cargo dans leur implémentation. Avec mon équipe, nous intervenons dans la phase de définition de ces standards au travers de plusieurs groupes de travail que nous animons. Ensemble, nous développons un programme appelé « ONE Record », une plateforme digitale qui permettra, en fonction du profil de l’utilisateur (agent de fret, transporteur, douane, compagnie aérienne etc.), de fournir et de récupérer en seulement quelques clics toutes les infos nécessaires. Le gain attendu en temps et en transparence est énorme. Grâce à cette plateforme, nous pourrons tracer l’ensemble des étapes depuis le transporteur qui va récupérer la marchandise dans une usine au fin fond de la Chine par exemple, jusqu’à sa livraison au client final à l’autre bout du monde. Nous sommes encore en phase de prototypage (pilotes) avec toutes les compagnies qui contribuent à la définition des standards avec nous.

Concrètement, sur quoi travailles-tu en ce moment ?

Au sein du programme One Record, je travaille sur le data model et les différentes étapes du process de validation. On a plusieurs comités de validation qui réunissent différents experts de l’industrie. D’ici deux semaines, je dois présenter une nouvelle version de ce data model qui permet de suivre un chargement du point a au point b, en indexant à chaque étape toutes les données requises (description de la marchandise, poids, packaging, réglementations, type d’avion, de containers, trajet empruntés etc.). L’idée est d’étendre progressivement le périmètre d’informations récoltées en l’appliquant à des domaines et des contraintes spécifiques. Par exemple, les produits dangereux et notamment tout ce qui touche aux vaccins, sont devenus un sujet prioritaire depuis le début de la crise sanitaire. On a vu les problèmes créés ces derniers mois par l’absence de standards internationaux dans le cargo aérien, comme ces avions bloqués sur le tarmac avec 3 millions de masques, simplement parce qu’une personne avait oublié d’imprimer un document. La solution digitale sur laquelle nous travaillons a pour but d’éviter ce genre d’imprévus.

Comment es-tu arrivé à ce poste ?
Je suis ingénieur aéronautique avec une appétence pour tout ce qui touche à l’aviation. Après un double diplôme à l’Imperial College of London en ingénierie aéronautique, j’ai passé 9 ans dans le conseil généraliste, expérience qui m’a permis de me confronter à de nombreuses problématiques industrielles. Avec mon épouse qui est Suisse, nous avons souhaité nous installer dans la région de Genève. L’opportunité de rejoindre IATA s’est présentée et même si je ne connaissais rien à l’univers du cargo, j’entrevoyais assez facilement tout ce qui pouvait se cacher derrière en termes d’organisation, d’interfaçage etc. J’ai postulé et j’ai eu la chance de tomber sur un manager qui a su lire mon CV et ses nombreuses missions (plus d’une quarantaine), alors qu’en Suisse, les consultants se concentrent habituellement sur beaucoup moins de sujets.

Quel impact a la crise liée au COVID sur ton travail ? On imagine que cela a dû renforcer le besoin d’accélérer la digitalisation des process ?
L’effet est contrasté. D’un côté, la crise qui touche le secteur aérien est un accélérateur de changement car beaucoup de mes interlocuteurs se sont retrouvés avec pas mal de temps pour réfléchir à la digitalisation des outils et process. Mais parallèlement, la crise sanitaire a entraîné d’importantes difficultés économiques pour les acteurs du secteur aérien, et les priorités visent logiquement davantage la réduction des coûts et la mise en place de plans de sauvegarde. Cela ne nous a pas empêché au sein du service Digital Cargo d’avancer sur de nouvelles solutions. On espère maintenant qu’elles sauront convaincre nos interlocuteurs et trouver leur place dans l’agenda des mois à venir.

Quelles sont pour toi les perspectives d’évolution chez IATA ?
La situation empêche de se projeter très loin. Il reste tellement de chose à faire rien que sur le projet de plateforme One Record. Il est pour moi facile de me projeter plusieurs années au sein de IATA. Mais j’ai aussi conscience que gravir les échelons implique de m’éloigner de l’opérationnel pour assumer des responsabilités plus politiques. On verra le moment venu si je suis prêt à endosser ce rôle. Pour l’instant, le plus important pour moi est de continuer à apprendre et d’avoir carte blanche pour expérimenter de nouvelles solutions.

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