Liste des articles
Vue 3520 fois
08 avril 2020

Carrière : Charlotte Guth, Cheffe de la Mission Aménagements Cyclables à la Direction de la Voirie et des Déplacements pour la Ville De Paris

Diplômée de Centrale Lyon en 2010, Charlotte Guth débute sa carrière au sein du groupe Setec dans la conception d'aménagements urbains (voies, trottoirs et pistes cyclables, tramway, parcs) aussi bien en région parisienne, en province qu'à l'étranger. En 2018, elle rejoint la Direction de la Voirie et des Déplacements de la Ville de Paris où elle est chargée de la réalisation des pistes cyclables. Elle nous parle de son métier, des projets qu'elle a menés et des défis qu'il reste à relever. Rencontre.


Bonjour Charlotte. Vous dirigez la mission aménagement cyclable de la ville de Paris depuis maintenant 2 ans. En quoi consiste concrètement votre travail ? 

 

J’interviens principalement sur deux grands axes :

  • Piloter la mise en œuvre des pistes prévues par les élus. A savoir organiser l'ensemble des personnes et décisions nécessaires à la conception et à la réalisation pour obtenir que les pistes soient livrées dans le délai, dans le budget et avec un niveau de rendu satisfaisant par les usagers. Je suis responsable de l'avancement de l'ensemble des pistes du plan vélo vis-à-vis de la direction et des élus.

  • Développer l'expertise et connaître les bonnes pratiques en termes d'aménagements cyclables. Quelles sont les caractéristiques d'une bonne piste cyclable ? A ce titre, je donne un avis sur l'ensemble des projets d'aménagements sur le territoire parisien (qui sont plus vastes que juste aménager une piste cyclable).

Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les différentes étapes d’un projet de piste cyclable pour une ville comme Paris ?

Chaque projet naît de la volonté des élus de réaliser un aménagement cyclable dans une rue ; volonté souvent motivée par des échanges avec les services techniques de la ville, dont je fais partie, qui permettent d’identifier les rues où il y a un besoin d'aménagement.


Il faut ensuite définir le type de piste cyclable et son fonctionnement. Part-on sur une piste ou sur un couloir de bus ouvert aux vélos ? S’agit-il d’une piste à double sens d'un côté, de l'autre, de 2 pistes d'un sens de chaque côté ? Les différentes possibilités sont proposées par les services techniques aux élus qui font leur choix en impliquant les usagers et le public.


L’étape suivante consiste au développement de la conception, avec l'élaboration de plans de plus en plus détaillés. Débute ensuite la phase de réalisation, à savoir le chantier en lui-même qui est par définition la partie la plus visible pour les usagers. La livraison et l’ouverture de la piste aux cyclistes viennent enfin clore le projet.

 

Avez-vous l'impression que les choses évoluent dans le bon sens en matière de transport à vélo en milieu urbain ?

A Paris, les choses évoluent dans le bon sens. Avec les nombreuses pistes que nous avons livrées en 2019, il est désormais possible de se déplacer à vélo à travers la capitale en utilisant des infrastructures protégées. On observe que la pratique du vélo augmente. C'est également le cas dans de nombreuses villes d’île-de -France grâce aux politiques volontaristes des élus. Le département de la Seine-Saint-Denis a par exemple voté un plan vélo de 150 M€ visant à rendre 100% des voies départementales cyclables. A l'opposé, certaines villes sont encore réticentes à aménager l'espace public en faveur du vélo.

Quelles sont les principales avancées que vous constatez ? Est-ce que par exemple, les pistes cyclables sont mieux pensées dans Paris ?

Nous essayons de progresser chaque jour dans la conception de nos pistes en nous appuyant sur les retours des usagers. Par exemple, nous avons constaté en 2015 que les couloirs de bus ouverts aux vélos (aussi utilisés par les taxis et les livraisons à Paris) étaient assez mal notés par les usagers. C'est pourquoi nous essayons aujourd’hui de faire de plus en plus de pistes cyclables en site propre.

Avec l'augmentation de la pratique, de nouveaux usagers viennent au vélo et avec eux, de nouvelles exigences apparaissent qui n'existaient pas auparavant. Nous essayons maintenant d'être beaucoup plus vigilants sur le traitement des intersections (carrefours) qui sont souvent anxiogènes, avec plus de réflexions pour limiter les vitesses des véhicules qui tournent et les angles morts. Nous essayons aussi d'améliorer la lisibilité des espaces pour les différents usagers, en particulier de bien clarifier les espaces pour les piétons et ceux pour les vélos pour limiter les conflits.

En termes de conception des pistes cyclables, quels sont les points sur lesquels des efforts/améliorations sont encore nécessaires ?

Malgré notre travail d'amélioration continue, il reste encore beaucoup à faire pour que tout le monde se sente en sécurité sur un vélo à Paris. Nous organisons actuellement des visites de retours d'expérience avec les usagers sur certaines pistes pour qu'ils puissent nous faire remonter leurs difficultés et qu'on s'améliore encore par la suite dans nos futures conceptions.

Nos points principaux d'amélioration sont la sécurité en carrefour (c'est toujours le point principal), l'efficacité en carrefour (l'attente aux feux), le confort et la qualité des revêtements, l'offre de stationnement qui est aujourd'hui insuffisante, la lisibilité de la piste avec notamment la question de sa colorisation (elles sont rouges aux Pays-Bas par exemple).

 

Les projets urbains sur lesquels vous intervenez comme consultante intègrent-ils tous la pratique du vélo dès leur conception ? Quelles sont les erreurs encore trop souvent commises?

Tous les projets de la Ville de Paris intègrent la dimension du vélo. C'est un mode de transport à part entière et il est intégré dans les objectifs des projets, au même titre que les déplacements à pied, en bus ou en voiture.

Les erreurs principales sont de concevoir les cyclistes comme des piétons, avec des cheminements à angle droit par exemple. Ou comme des voitures qui n'ont pas besoin de se sentir en sécurité et qui peuvent franchir la place de l’Étoile sans problème. Les cyclistes ont des besoins propres auxquels il faut répondre si on veut attirer davantage de nouveaux cyclistes et augmenter la pratique du vélo.

Existe t-il des villes modèles concernant les pistes cyclables. Des contacts avec les services de ces villes existent-ils ?

Les modèles principaux sont bien évidemment dans les pays ayant une pratique du vélo beaucoup plus développée que la France comme les Pays-Bas ou le Danemark. Dans ces deux pays, l'usage du vélo avait pratiquement disparu avec le développement de la voiture et ils ont également du faire face à des phénomènes de congestion automobile comme nous en avons aujourd'hui chez nous.

Leurs exemples prouvent qu'il est possible de développer l'usage du vélo en partant d'une situation similaire à celle que nous connaissons aujourd'hui. Inutile de réinventer la poudre, il suffit d'appliquer les mesures qu'ils ont mises en oeuvre. La première d'entre-elles étant de développer un réseau de pistes cyclables sécurisées et continues.

Je suis personnellement allée suivre une formation d'une semaine à Copenhague. Je me forme également beaucoup à partir de ce qu'on peut lire en ligne et j'ai également suivi un MOOC de l'université d'Amsterdam.

Nous regardons aussi ce que d'autres villes font en dehors de ces pays, notamment à Londres ou New York, qui sont similaires à Paris en termes de densité.

Le développement de la trottinette électrique en ville a t-il un impact sur votre travail ?

Pour l'instant, nous n'avons pas vraiment intégré la trottinette et les EDPs dans nos réflexions sur les infrastructures cyclables. Cela viendra probablement. 

Comment évolue les usages du vélo à Paris ? La ville se fixe t-elle des objectifs ?

L'objectif du plan vélo était d'obtenir 15% de part modale vélo en 2020 (part des déplacements effectués à vélo). Nous saurons dans le courant de l'année 2020 quel est le niveau effectivement atteint. On constate en tout cas une augmentation continue de la pratique, y compris pendant l'hiver et au-delà de l'épisode de la grève des transports. Par exemple, on a observé une augmentation de 128% du nombre de cyclistes (2,28 x plus de cyclistes) en janvier 2020 par rapport à janvier 2019.

 

Les grèves contre la réforme des retraites ont provoqué une hausse des accidents de vélo/2 roues. Quels enseignements en tirez-vous ?

La hausse des accidents a été inférieure à l'augmentation de la fréquentation. Entre 20 et 40% d'augmentation d'accidents alors que la pratique a plus que doublé, voire triplé sur certains axes. On était donc en fait plus en sécurité pour se déplacer à vélo pendant la grève qu'avant. Ce qui montre ce qu'on appelle "la sécurité par le nombre". Plus il y a de cyclistes, plus ils sont visibles, moins il y a d'accidents.

Quel est le projet dont vous êtes la plus fière ?

La piste cyclable du REVe (Réseau Express Vélo) sur la rive gauche de la Seine, qui traverse les arrondissements 5, 6, 7, 13 et 15. Elle permet de traverser Paris en sécurité, en longeant les plus beaux bâtiments de Paris (Tour Eiffel, pont Mirabeau, pont Alexandre III, Musée d'Orsay, Notre-Dame, Institut du Monde Arabe, passerelle Simone de Beauvoir) et avec vue sur la Seine et les bouquinistes. Avec un cadre pareil, il est encore plus agréable de circuler à vélo et j'envie les cyclistes qui ont la chance de l'emprunter tous les jours.

Quels sont les aspects que vous préférez le plus dans votre travail ?

Il y en a plusieurs :

  • La très grande variété des sujets : je peux aussi bien intervenir sur des sujets de conception de carrefour, d'approvisionnement de matériaux ou de gestion de données de trafic GPS. A des niveaux très opérationnels ou au contraire plus stratégiques.
  • La grande autonomie : au sein de l'organisation, on me laisse une grande autonomie pour la gestion de l'avancement de mes projets. Etant entendu que je suis jugée sur les résultats.
  • L'intérêt du thème : je contribue chaque jour à faire une ville plus vivable dans laquelle tout le monde peut se déplacer selon le mode de son choix et plus adaptée au dérèglement climatique. Je suis à titre personnel convaincue que le vélo est LE mode de transport à favoriser et développer dans les centres urbains denses et pouvoir agir pour ça est très valorisant.

A l’inverse, quelle est la plus grande difficulté que vous rencontrez dans votre travail ?

La principale difficulté quand on aménage l'espace public réside dans le fait que tout le monde pense savoir comment s’y prendre. Lorsqu’on érige un pont, on voit rarement des non-professionnels venir expliquer quelle taille de pile choisir pour faire tenir l’ensemble. Dans l'espace public, c'est l'inverse, tout le monde pense qu'il sait calculer la pile du pont et qu'il est évident qu'il faut mettre les feux rouge comme ci ou aménager les choses comme ça. De fait, dans le dialogue avec les non-techniciens, qu'ils soient dans le public ou qu’ils soient élus, on ne peut pas s'appuyer sur le seul argument d'autorité "je suis le technicien sachant", nous devons sans cesse expliquer et justifier nos choix et propositions. C'est ce qui rend l'espace public si difficile à aménager mais aussi si passionnant.

 

Si on vous laissait les mains libres pour développer le vélo à Paris, quelles mesures prendriez-vous ?

Les mesures sont en réalité très simples à déterminer, il suffit de faire ce que les pays avec beaucoup de cyclistes ont fait :

  • Faire en sorte qu'il n'y ait plus de trafic motorisé qui ne fait que traverser les quartiers résidentiels pour qu'on puisse s'y déplacer à vélo (et à pied) en toute sécurité>
  • Proposer des pistes cyclables sur les gros axes qui permettent de passer d'un quartier à un autre
  • Développer du stationnement important dans les bâtiments, dans la rue, dans les gares
  • Apprendre aux enfants à faire du vélo
  • Et bien sûr voter le budget en conséquence

 

Auteur

A lire

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.