En consultation avec Isabelle Priour (ECL 2002), Centralienne et médecin en réanimation
Pendant des semaines, chaque soir à 20h, nos applaudissements lui étaient en partie adressés. Isabelle Priour (ECL 2002) est médecin au service réanimation à l’hôpital Foch de Suresnes et médecin urgentiste auprès du SAMU. Plus qu’un métier, une vocation pour celle qui a accepté il y a quelques années de mettre sa carrière professionnelle d’ingénieure entre parenthèses pour repartir sur les bancs de l’école pendant… 10 ans.
Bonjour Isabelle. Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes passée des bancs de Centrale Lyon au poste de médecin réanimation à l’hôpital Foch (92) ?
J’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur option génie industriel en 2002. Comme beaucoup à l’époque, je n’avais pas d’idée précise du métier vers lequel m’orienter. Je me suis finalement lancée dans le conseil au sein du cabinet Eurogroup Consulting. J’y ai passé 4 années très enrichissantes sur le plan professionnel avec des missions variées allant d’un projet de réorganisation du musée de l’air et de l’espace, à un autre en marketing pour EDF, ou encore chez Martel. Mon métier m’offrait du challenge et des perspectives intéressantes, mais je sentais qu’il me manquait quelque chose. J’ai alors décidé de mettre à profit mon temps libre pour devenir secouriste auprès de la Protection civile. C’était alors une simple occupation en marge de ma vie professionnelle qui m’apportait ce petit surplus de sens et d’inattendu.
C’est là où le déclic a eu lieu ? On imagine que ce n’est pas facile de lâcher son métier de consultante pour débuter des études de médecine !
J’ai passé 3 années comme secouriste avant de décider de changer de voie. J’étais un peu frustrée de ne pas accompagner les patients jusqu’au bout et de devoir les confier au SAMU dès que leur cas nécessitait une prise en charge plus sérieuse. Pour autant, repartir de zéro pour entreprendre des études de médecine est une décision qui doit être mûrement réfléchie car elle implique énormément de sacrifices. Médecine, c’est 9 ans d’études dans le meilleur des cas, avec des revenus qui ne dépassent guère les 200 euros par mois pendant les premières années. J’ai pris le temps de rencontrer différents médecins, j’ai assisté à des chirurgies en bloc opératoire – j'ai d'ailleurs fait un malaise lors de ma première rhinoplastie – et j’ai senti que c’était ce que je voulais faire comme métier. J’ai négocié avec mon patron du cabinet de consulting de prendre une année sans solde afin de suivre les cours de première année de médecine. Je savais que si je me loupais, à la fin de l’année, je pourrais reprendre mon poste de consultante.
Quelques mois plus tard, vous êtes admise en 2ème année de médecine. Il était temps de faire un choix entre votre carrière professionnelle et vos études...
La logique aurait effectivement été de trancher, mais j’ai décidé de cumuler mon métier de consultante en 3/5ème, avec mes cours de médecine, sans parler de mes activités de secouriste... Ce fut une année, comment dire... un peu tendue (rire). J’arrivais en TD habillée en consultante avant de repartir directement en réunion client. Résultat : j’ai multiplié les rattrapages au point qu’à la fin de ma 2ème année de médecine, j’ai compris que je devais faire un choix. J’ai alors décidé de démissionner d’Eurogroup.
Quelles sont les différences principales entre les études de médecine et celles d’ingénieur ?
Ce sont deux mondes radicalement opposés. A l’inverse des études à Centrale, celles de médecine ne vous apprennent absolument pas à réfléchir mais à emmagasiner le maximum de connaissances et à les régurgiter le plus fidèlement possible. Il n’y a pas de place pour l’esprit critique ou d’analyse. D’un point de vu humain également, l’externat est une expérience impitoyable. On est jeté dans le grand bain sans savoir nager, avec une forme de compagnonnage très hiérarchique qui peut s’avérer frustrant surtout pour des esprits cartésiens. Par exemple, perdre 4 h à l’hôpital à attendre que l’interne daigne vous apprendre quelque chose, est une expérience particulièrement pénible.
Avez-vous eu des moments de dépit au point de vouloir jeter l’éponge ?
Pas une seule seconde ! Ce fut certes des années difficiles, où j’ai passé mon temps entre l’hôpital, les cours et les révisions, mais je n’ai à aucun moment douté de mon choix. Je savais que j’étais à ma place.
Quand avez-vous décidé de vous orienter vers la médecine d’urgence ?
Au moment de passer le concours d’internat de médecine, je savais que je ne voulais pas m’orienter vers une spécialité dite d’organe, mais dans quelque chose de plus transversal que j’avais expérimentée au sein de la protection civile. Je voulais être au coeur de la vie et de la mort. Le concours m’a permis de m’orienter vers le secteur des urgences, même si à l’époque, cette spécialité n’existait pas. Il fallait faire médecine générale plus une sur-spécialité d’urgence. Au terme de mes 5 années d’internat, je suis devenue médecin urgentiste, avec la possibilité d’exercer à l’hôpital ou auprès du SAMU. Là encore, j’ai décidé de faire les deux. Je voulais pouvoir vivre ces deux expériences complémentaires, avec des rythmes de travail adaptés, le SAMU fonctionnant sur des cycles de garde de 48 heures par semaine réparties sur 2 jours. Le reste de mon temps était consacré aux Urgences, et en marge à de la médecine du sport auprès de la Fédération Française de Karaté.
Vous êtes aujourd’hui médecin en service de réanimation. Pourquoi avoir finalement abandonné les urgences ?
Je continue encore aujourd’hui à faire une fois par mois des gardes pour le SAMU histoire de garder un pied dans le "camion", mais j’ai effectivement fait le choix d’arrêter les urgences pour consacrer 100 % de mon temps à la réa. L’urgence est une belle spécialité mais j’ai compris au bout d’à peine 6 mois, que cela ne me convenait pas totalement. Les médecins urgentistes passent beaucoup de temps à gérer les flux de patients, à trouver des lits, à distinguer les cas graves des autres, tout ça dans des conditions de travail difficiles et une agressivité permanente de la part des patients qui doivent certes souvent attendre des heures qu’on s’occupe d’eux. Il y avait également cette frustration de devoir passer la main aux autres services spécialisés pour les cas les plus graves. J’ai donc pris contact avec le chef de réa avec qui j’avais travaillé pendant mon internat et il a accepté que je rejoigne son équipe
Les services de réanimation ont été en première ligne lors de la crise du COVID-19. Comment avez-vous vécu cette période ?
Dans le feu de l’action, on retient la stimulation intellectuelle et l’énergie déployée pour adapter l’organisation à l’urgence de chaque situation. Nous sommes passés de 1500 lits en Île de France à 2500 en quelques semaines. Mais pour y parvenir, il a fallu bricoler avec ce que nous avions sous la main. Par exemple les lits réquisitionnés n’étaient pas faits pour accueillir des patients en réa. De la même façon, nous avons dû utiliser des respirateurs prévus normalement pour transporter des patients pendant quelques heures et qui logiquement n’offraient pas la même qualité de ventilation. Le système ne s’est pas adapté à la situation, c’est nous sur le terrain qui nous sommes débrouillés pour faire face à l’urgence. Travailler en sachant qu’on ne prend pas correctement en charge les patients, c’est difficile à accepter. Cette crise fut épuisante physiquement et psychologiquement, avec un taux de mortalité dans les services de réanimation qui est passé de 20 % à 45 %, et un nombre de patients multiplié par 3.
Avec du recul, que préférez-vous dans votre métier ?
J’aime me sentir utile et être au cœur de l'essentiel, sans qu'une journée ne ressemble à une autre.
A l’inverse, qu’aimez-vous le moins ?
De ne pas être tirée vers le haut. Il n’y a ni point projet, ni entretien individuel, ni prise de recul pour tenter d’améliorer le fonctionnement des services. La structure hospitalière fait qu’on reste un pion dans un système.
Avez-vous une idée de la direction vers laquelle se déplace ce pion ?
Je ne saurais pas répondre. La réa me plaît vraiment et je ne me vois pas changer dans les prochaines années. Plus tard peut être, pourquoi pas faire du conseil dans la santé appliqué au milieu hospitalier ?
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